« 28 Mai 1918 ». Djeyhoun Hadjibeyli 21 juin 2019 – Publié dans Littérosa – Mots clés: , , ,

A la lumière des événements évoqués, l’acte du 28 mai 1918 – la déclaration de l’Azerbaïdjan indépendant de la Russie – apparait comme une conséquence logique, dictée par l’évolution historique et par les conditions de vie du peuple azerbaïdjanais.
Dans l’empire russe, le peuple azerbaidjanais n’avait aucun droit ; il réussit conserver son existence physique, sa foi, ses traditions et sa langue. Cet empire s’effondra sous les coups des démagogues bolchéviques, dont les hordes opprimaient le même peuple, resté sans moyen de défense la suite des machinations historiques des dirigeants de l’empire. La seule défense des Azerbaidjanais fut les forces turques apparues en Transcaucasie après le traité de Brest-Litovsk qui accordait certaines concessions territoriales aux Turcs.
Cela fut d’autant plus facile que sous la pression de ces événements extérieurs, la Diète de Transcaucasie (renommée Commissariat de Transcaucasie) fut dissoute, et les représentants des trois principaux peuples déclarérent chacun leur indépendance : la Géorgie le 26 mai, l’Azerbaïdjan et 1’Arménie le même jour, 28 mai.
La déclaration d’indépendance d’Azerbaïdjan fut proclamée & Tiflis, capitale de la Géorgie, car Bakou et une partie de sa province étaient occupés par les partisans de « l’autodétermination jusqu’a la séparation », selon la formule solennelle.
Le Conseil national d’ Azerbaïdjan confia Fatali-Khan Khoiski (rejeton des célèbres princes souverains) la formation du cabinet et l’investissant des pleins pouvoirs, fut dissout. Le cabinet devait dans les six mois convoquer une réunion constitutive. Mais il fallait avant tout libérer le territoire et la population de l’Azerbaïdjan des hordes bolchéviques enragées. Le gouvernement azerbaidjanais se transporta a Gandja (l’ancienne Elisavetpol), prit des mesures et avec l’aide de certaines unités turques de volontaires, put reconquérir Bakou, sa capitale (le 15 septembre 1918) ; mais les coups qu’avait reçu Bakou étaient si forts qu’il fallut encore du temps pour rétablir un rythme de vie normal dans cette ville industrielle. Afin de ne pas laisser le pays sans institutions juridiques jusqu’a la convocation de la réunion constitutive, le gouvernement résolut de convoquer le 16 novembre le Soviet des nationalités et par cooptation, de compléter le nombre des députés 120 . Auparavant, le gouvernement azerbaidjanais reconstitué avait adressé via Istanbul le télégramme suivant 4 Londres, Paris, Rome, Berlin, Vienne, Moscou, Washington, Sofia, Bucarest, Madrid, La Haye, Stockholm, Christiana (Oslo), Téhéran et Kiev :
« Ministère des Affaires étrangéres. La république fédérative de Transcaucasien est dissoute par le départ de la Géorgie. Le Conseil national d’Azerbaïdjan a déclaré ce 28 mai I’indépendance de l’Azerbaïdjan, composé de la Transcaucasie de l’est et du sud, et a formé la République d’Azerbaidjan. Vous annoncant cette nouvelle, je prie votre excellence d’en informer votre gouvernement. Signé : Fatali- Khan Khoiski, Président du Conseil des ministres de la République d’Azerbaïdjan”.
Au début de novembre 1918, avant la réunion du conseil national, le premier gouvernement de la république démocratique d’ Azerbaïdjan envoya la déclaration suivante au président des Etats-Unis d’Amérique, W.Wilson, auteur des quatorze points sur le droit de chaque peuple a l’autodétermination :
« Dans le feu de la guerre mondiale, des destructions, des incendies et des souffrances des peuples, vous pouviez, un rameau de la paix a la main, déclarer a l’humanité affolée qu’il était temps de jeter le glaive et de revenir au moyen pacifique de régler les querelles entre états. Par chance pour tous les opprimés, votre appel sacré étouffe aujourd’hui le grondement des machines infernales. L’heure bénie n’est pas loin, ov les armes d’extermination de l’humanité seront des charrues agricoles et des machines industrielles. En ces minutes historiques remarquables ou, animé du désir de sauver I’humanité de l’extermination mutuelle et d’arracher de faibles petits peuples aux griffes de la tyrannie et de l’esclavage, vous avez montré au monde un énorme acte d’humanisme, les musulmans de l’Azerbaïdjan caucasien, au nombre de trois millions, qui ont subi toutes les horreurs de cette guerre et l’anarchie et ont versé le sang de leurs fils jusqu’aux montagnes carpathes dans les rangs de l’armée des Alliés , ont pris le chemin d’une vie indépendante. Notre jeune république d’Azerbaïdjan qui a placé a la base de son activité la légalité et l’unité socio-politique de tous les peuples, sans distinction de religion ni de nationalité, existe dans les faits depuis le 28 mai de cette année. Le gouvernement d’Azerbaïdjan, élu librement par la volonté du peuple, ayant instauré dans le pays l’indispensable ordre de droit, s‘attache a réaliser les nécessaires taches culturelles dans tous les domaines de la vie socio-politique, et a reconstruire l’économie et l’industrie nationales détruites par la guerre et l’anarchie. Le jeune gouvernement azerbaidjanais est prêt a recevoir des représentants du monde cultivé qui pourraient personnellement se convaincre de notre capacité d’avoir une administration autonome. La République d’Azerbaïdjan est sire qu’elle a démontré son droit a exister parmi les autres états de droit ; elle n’a besoin que de la reconnaissance juridique de son indépendance et de son intégrité territoriale, par les pays civilisés du monde, pour établir avec eux les nécessaires relations vers les idéaux universels.
Avant de s’adresser aux grandes puissances européennes, le peuple et le gouvernement d’Azerbaïdjan, en arrêtant leur regard sur la personnalité que vous êtes, comme sur le défenseur des petits peuples opprimés, sollicitent votre soutien pour la reconnaissance de la République Azerbaidjanaise de Transcaucasie comme un état autonome et indépendant , et votre coopération pour éloigner tous les freins et obstacles que rencontrera notre peuple dans la conquête de ses droits légaux une existence autonome, reconnus par vous & tous les peuples du monde”.
Conformément au traité de Moudros, les unités turques évacuèrent le territoire de l’Azerbaïdjan et le 17 novembre 1918 entra a Bakou un régiment des armées alliées, commandé par le général anglais Thomson qui prit contact avec le gouvernement et annonça : « Nous n’avons ni au présent ni l’avenir, aucune intention de nous mêler de vos affaires intérieures »; et un peu plus tard, le 28 décembre de la même année, les forces alliées publièrent la déclaration suivante :
« Au vu de la constitution du gouvernement azerbaidjanais de coalition sous la présidence de F.K.Khoiski, je déclare que le Commandement allié apportera un soutien total a ce gouvernement, comme seul pouvoir légal a l’intérieur des frontières de l’Azerbaïdjan ».
La déclaration du général Milne, commandant en chef et représentant du gouvernement du souverain britannique au Caucase et dans les Balkans, était dans le même esprit (22-23 janvier 1919) .
Le 7 décembre 1918 s’ouvrit solennellement le Parlement d’ Azerbaïdjan auquel participaient des représentants de tous les partis politiques (sauf les communistes) ainsi que des minorités nationales.
Il convient de remarquer l’attitude du gouvernement et du peuple azerbaidjanais envers la population russe du pays et envers les réfugiés russes ayant cherché refuge dans ce pays turco-musulman, fuyant les bolchéviques. Cette attitude était caractérisée par la discrétion, la compassion, le respect. Nous citerons les propos de Vinogradov, député de la population russe au parlement azerbaidjanais, qui déclara a la tribune du parlement :
« Bien que ce soit l’intelligentsia et seulement elle qui ait rompu les chaines du despotisme et affranchi le grand peuple russe, ces forces de l’intelligentsia chassées, ont trouvé refuge sur le territoire de l’Azerbaïdjan. Nous ne pouvons omettre non plus que sur ce territoire est restée comme avant l’église chrétienne et en partie russe, pourchassée par ses fils égarés en Russie même ».
Et voici l’appel public de l’évêque Théophilacte de Gandja au chef du gouvernement d’ Azerbaidjan :
“Excellence, trés respectable Fatali-Khan ! Etant actuellement absent, à Tiflis, je me permets d’exprimer vous et votre gouvernement ma sincère et profonde reconnaissance pour l’attention accordée aux besoins de l’église orthodoxe et de son clergé. Je regrette vivement d’être privé du plaisir de vous témoigner personnellement l’expression de mon sincère respect. Appelant sur vous la bénédiction divine, j’ai l’honneur d’étre le trés humble serviteur de votre Excellence. Théophilacte, Evéque de Gandja, 21 janvier 1919″ .
Il faut dire que le gouvernement azerbaidjanais prenait des mesures spéciales pour les besoins de l’église russe.
Malgré sa courte existence, le gouvernement national azerbaidjanais eut le temps de prendre une série d’initiatives socio-culturelles et économiques comme I’envoi de 100 étudiants dans des pays d’Europe pour parfaire leurs connaissances, la création 4 Bakou d’une université d’état, l’ouverture d’écoles dans de nombreux villes et villages, l’ouverture d’écoles professionnelles pour filles, l’ouverture de la banque d’état, etc.
Dans la période entre le 15 décembre 1918 et le 19 juillet 1919, le Parlement d’ Azerbaïdjan reçut 138 projets de loi dont 75 furent adoptés.

Djeyhoun Hadjibeyli

Biographie de l‘auteur:

Djeyhoun Hadjibeyli

Djeyhoun Hadjibeyli est né en 1891 à Shousha. Ayant terminé l’école russo-tatare (les azéris ont été appelés « tatars » à l’époque, même si elles sont distinctes des tatars actuels), il a poursuivi ses études à Bakou. Ensuite, il entre à la faculté juridique de l’Université de Petersburg. Il part de Petersburg en France, où il entre à la Sorbonne. Au début du XXe siècle, Djeyhoun Hadjibeyli collabore activement avec la presse de Bakou. À part les articles, publiés dans les journaux « Kaspy », «Irshad » et « Taraggui », il s’occupe de la rédaction du journal de Bakou «Azerbaïdjan» en version russe. Parfois, il signe ses articles «Daguestani».

Après la fondation de la République Démocratique d’Azerbaïdjan, Hadjibeyli est nommé rédacteur du journal «Azerbaïdjan», organe de presse officiel du gouvernement. En 1919, Djeyhun Hadjibeyli est parti en France parmi la délégation azerbaïdjanaise avec Alimardan Toptchibashev en tête, pour participer à la Conférence de paix de Versailles. En 1920, quand la République Démocratique d’Azerbaïdjan a cessé son existence, il n’est pas rentré en Azerbaïdjan, étant resté vivre à Paris jusqu’à la fin de sa vie. Il y a développé une activité importante, consacrée à la propagande de l’histoire et de la culture de l’Azerbaïdjan. Il avait traduit en français les poésies des poètes azerbaïdjanais : Vidadi, Nabati, Kassoumbek Zakir et d’autres. Il est l’auteur d’une série d’articles sur les différents sujets littéraires et linguistiques (« Hafiz Shirazi», «La vie de Firdowsi», «Les poétesses azerbaïdjanaises» et d’autres). Vivant en France, Hadjibeyli avait publié des articles dans plusieurs magazines français et les journaux; il participait directement à la création de la rédaction azerbaïdjanaise de la Radio «Liberté». Hadjibeyli a écrit plusieurs romans et récits, travaux scientifiques et articles, consacrés à l’histoire azerbaïdjanaise, la littérature et la langue. Son roman «La matinée de Hadji Kérim» a été publié dans le journal «Kaspi». Il était l’auteur des recherches «Babek et l’état ancien d’Arran», «Histoire des villes de Bakou et de Barda». Son étude «Le dialect de Karabakh et le folklor », parue en 1934 à Paris dans la « Revue des deux mondes», est l’un de ses œuvres précieuses. Cette revue a publié sur ses pages les deux autres ouvrages de Djeyhoun Hadjibeyli: «De l’histoire de l’Azerbaïdjan. Abbasqulu Agha Bakikhanov» et «Le potentiel intellectuel en URSS ». L’attention de Djeyhoun Hadjibeyli a été attirée surtout par les problèmes d’émancipation et d’égalité des femmes, leur rôle dans l’activité sociale et la lutte sociale. En 1959, l’Institut des recherches sur l’URSS à Munich a édité le résultat de ses études, le livre intitulé « Propagande anti-islamique et ses méthodes en Azerbaïdjan».

Djeyhoun Hadjibeyli est décédé en 1962 à Paris, où il fut enterré1.
En
1990, le diplomate Ramiz Aboutalibov a amené les archives personnelles de Djeyhun Hadjibeyli à Bakou et les a transmises aux archives nationales de l’Azerbaïdjan. En 1993, on a édité les «Œuvres complètes» de Djeyhun Hadjibeyli.

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