« Akbar ». Tural Diridaghli 31 juillet 2020 – Publié dans Littérosa – Mots clés: , , , , ,

Tural Diridaghli, étudiant en thèse à l’Université Toulouse Capitole 1, juriste d’entreprise, écrivain.


Traduction par Konul Ramazanova


Que soit remercié pour sa contribution à la réalisation de cette nouvelle: Thierry Edmond


Rostow resta longtemps adossé contre la muraille, suivant des yeux les héros de la fête, pendant qu’un douloureux travail intérieur s’accomplissait en lui. Des doutes terribles envahissaient son âme, et il ne pouvait leur donner de solution satisfaisante. Il pensait à Denissow, à son indifférence chagrine, à sa soumission inattendue ; il revoyait l’hôpital, sa saleté, ses épouvantables maladies, ces bras et ces jambes qui manquaient, et il croyait encore sentir l’odeur du cadavre. Cette impression fut si vive, qu’il chercha instinctivement autour de lui d’où elle lui montait à la gorge. Il pensait à Bonaparte, à son air satisfait, à Bonaparte empereur, aimé et respecté de son souverain bienaimé ! Mais alors, pourquoi tous ces membres mutilés ? Pourquoi tous ces gens tués ? D’un côté, Lazarew décoré, de l’autre Denissow puni sans espoir de grâce !… Et il s’effrayait lui-même du tour que prenaient ses réflexions.

Léon Tolstoï « Guerre et Paix » Volume II.

« AKBAR »

Il n’était pas encore midi quand mes parents m’ont emmené à l’hôpital militaire avec une fièvre de quarante deux degrés. Il faisait tellement froid qu’on claquait des dents et serrait la mâchoire.

Malgré le temps très froid, le soleil n’a pas complètement quitté Bakou ; il était parfois visible de derrière les nuages qui couvraient le ciel de la ville glaciale. La neige tombée deux jours avant avait purifié l’air de la ville, la glace était en train de fondre dans les rues, sur les balcons et au bord de l’asphalte. L’auteur de cet article appuyait son dos derrière la voiture, il regardait parfois ses parents qui étaient devant lui, parfois il regardait par la fenêtre les coins de la ville, les arbres, les balcons qui étaient sortis comme des champignons, et la neige qui traînait sur les balcons.

Même s’il faisait froid dehors, mon corps brûlait de chaleur. J’étais dans une situation où je ne savais pas s’il fallait maudire ma chance parce que j’étais malade avant la fin de mes vacances que j’attendais depuis six mois dans l’armée, ou s’il fallait être plus optimiste, en me disant que tout allait bien.

Avant de quitter la maison, une question de ma mère résonnait dans ma tête :

-Veux-tu passer le reste de tes vacances à la maison malade, ou veux-tu être transporté à l’hôpital, te soigner et être renvoyé directement à l’unité militaire ?

Après avoir réfléchi trop rapidement, j’ai accepté d’aller à l’hôpital. Je pensais que cela n’avait pas d’importance si le patient restait dans l’un des gratte-ciel de la ville de New York ou dans une pièce moulée d’un hôpital; la douleur, la faiblesse et la chaleur qui secouaient mon corps, ne me permettaient pas de profiter des vacances pour une raison quelconque. Dans ce cas-là, je ne voyais aucun avantage à rester à la maison lorsque j’ai décidé d’aller à l’hôpital. Clairement, j’espérais aussi qu’il faudrait deux ou trois semaines pour me soigner à l’hôpital, comme ça je retournerais plus tard à l’unité militaire. Dans cette partie du récit, à la fois pour justifier mes sales intentions et pour informer les lecteurs non militaires, je dois dépasser le cadre et noter que chaque instant qu’un soldat peut passer à l’extérieur de l’unité militaire a une valeur spéciale. Avec l’insouciance et l’innocence d’un militaire de six mois, je croyais aussi sincèrement que cela vaut la peine de sacrifier un ou deux jours de vacances afin d’éviter le service…

Soudain une idée m’a réveillé. J’ai sauté dans la voiture. Ma mère, qui était assise devant moi, s’est retournée et s’est étonnée. L’œil droit de mon père me fixait dans le rétroviseur au-dessus du volant.

C’était comme si une balle avait percé mon cerveau: qui peut me donner la garantie que je serais admis à l’hôpital comme patient? J’ai entendu de mes amis que les soldats qui tentent de se soustraire au service font beaucoup de choses pour tromper les médecins. Il y a tellement de soldats qui sont boivent de l’iode, avalent des aiguilles et reniflent de la graisse de cheval afin d’augmenter artificiellement la fièvre, pour que quelqu’un constate qu’ils sont vraiment malades.

Disons que quelques-uns des médecins, plus honnêtes que les autres, m’ont cru et ont écrit au service ; comment pourrais-je savoir combien de temps je vais y rester ? Peut-être que moins d’une semaine plus tard, ils vont m’envoyer à l’unité militaire en disant que le soldat est en bonne santé? S’il m’arrive une chose pareille, dois-je quitter ma maison, mes vacances civiles et venir ici à cause de la fièvre ? Cher lecteur, s’il vous plaît ne faites pas attention à mon rêve de New York, car personne ne peut remplacer la caresse de la mère, l’attention du père, les soins de la tante au sein d’un hôpital ? Je pense que j’avais de la fièvre ou que j’avais été trompé par le diable. Sinon, un soldat sain d’esprit ne risquerait jamais de passer les derniers jours de ses vacances dans un hôpital pour rien. Je regrettais vraiment. Mais d’un autre côté, peut-être valait-il mieux venir à l’hôpital ! En effet, je change mon environnement, je vérifie tout, je reçois un meilleur traitement, je ne reste pas à la maison pour infecter les autres… Je n’aurais pas le souci de me lever tôt le matin, de marcher au pas, de me raser. Il y a un proverbe qui dit : « il y a une bénédiction en tout et rien ne se passe sans raison. » Apparemment, Voltaire en a également parlé dans son œuvre « Candide ». Comment me suis-je souvenu de ce livre maintenant, alors que j’avais une fièvre si forte? Qui contrôle ce qui nous arrive ? Notre destin est-il dû à notre propre stupidité ou Dieu nous envoie-t-il le bien et le mal pour nous tester ? Est-ce que nous sommes libres ou est-ce que tout dépend du cours des événements ?

Non, je ne sais pas de quoi tout dépend. Il y a de la sagesse dans tout, et ainsi de suite! Oui oui! C’est simple et c’est comme ça! C’est juste que nous, les gens faibles, sommes coincés pendant un certain temps, nous ne pouvons donc pas comprendre la sagesse de ce qui nous arrive. Parce que nous ne voyons pas notre avenir. C’est pour cela que lorsque quelque chose se produit et qui ne correspond pas à nos intérêts, nos désirs et vœux, à ce moment-là, nous le qualifiions à la hâte de désastre. Nous commençons à maudire la malchance, le destin, le diable. Ahh, l’homme pressé ! Pauvre homme malheureux. Ouff, ma tête, j’ai l’impression qu’elle va éclater. Je me demande si ma fièvre est encore au-dessus de quarante degrés….?

***

(Pendant ce temps-là, je me suis probablement endormi quelques minutes)

***

Je me suis réveillé et j’ai fixé mes yeux vers mes parents face à moi. Ils étaient en train de bavarder. Mon père tenait le volant d’une main, et il bougeait sa main droite de haut en bas pour exprimer ses pensées sur le sujet de manière plus vivante et plus vive, dessinant des cercles dans l’air comme un chef d’orchestre, comme s’il essayait de prouver quelque chose à ma mère. Peu importe mes efforts, je ne comprenais pas la langue parlée par mes parents. C’était comme si les mots qu’ils utilisaient m’atteignaient un par un séparément, mais les phrases qu’ils faisaient n’avaient pas de sens à la fin. Le soleil ne brillait pas comme avant. C’est peut-être pour cela que les nuages étaient un peu plus sombres qu’avant. Bien que je me sois réveillé petit à petit, la balle qui se balançait dans ma tête ne s’arrêtait pas. Alors qu’elle bougeait, la douleur dans mon craîne a percé mon cerveau comme une aiguille. Il semble que les pensées gênantes qui me traversaient l’esprit depuis longtemps, l’hôpital, New York, les questions de mes parents, la maladie, etc. n’étaient pas des rêves. Je suis vraiment venu à l’hôpital. Mon père cherchait un endroit pour garer sa voiture. Je pouvais déjà voir l’inscription « Hôpital Militaire Central» en majuscules sur le grand bâtiment en face de nous. Il était trop tard pour changer d’avis. Que pourrais-je dire à mes parents ?

« Pardonnez moi, merci beaucoup de m’avoir amené ici, je viens de comprendre votre valeur, s’il vous plaît rentrons à la maison ? »

Ils pourraient me dire, « mon fils, nous t’avons mis face à nous, nous t’avons posé une question sérieuse avant de quitter la maison, et tu as regardé le plafond, quelque part, puis tu as décidé d’aller à l’hôpital. »

Si mes parents étaient un peu plus ouverts, ils ajouteraient, « Combien de mois à l’armée et tu n’as pas appris qu’une personne doit d’abord prendre la mesure de sa responsabilité à l’égard des décisions qu’elle prend, puis prendre une décision ? »

Sans faire de drame, le dialogue que j’avais en tête était suffisant pour me faire taire. Je suis sorti de la voiture, j’ai respiré l’air froid de janvier, j’ai mis mon chapeau et je me suis dirigé vers l’hôpital à grands pas. Mes parents m’ont suivi.

***

Ils m’ont traîné d’une pièce à l’autre pendant deux heures. Chacun des médecins m’a examiné et ils ont longuement parlé entre eux. Je pouvais les entendre marmonner quelque chose, mais je ne pouvais pas dire s’ils ont parlé de moi ou des infirmières à côté d’eux. La seule chose que j’ai remarquée, c’est que parfois ils me regardaient en parlant. Ils ne pensaient pas que ce pauvre avait une fièvre de 42 degrés, que son âme était en feu, que peut-être que nous lui ferions une piqûre et donnerions un médicament, puis nous continuerions notre conversation. Au fond de moi, je pensais ne pas prendre la bonne décision, j’ai dû me mettre en face et dire à mes parents à la porte de l’hôpital :

« J’ai pris une mauvaise décision, ramenez-moi à la maison ».

Après nous pourrions revenir ensemble à la maison, bien manger et boire pendant quatre ou cinq jours, et de là je pourrais aller à l’unité militaire. Au moins je savais que quand j’entends parler de dolma1, de plov et de salade « capital » pendant le service militaire qui me mettait l’eau à la bouche je ne regretterais pas. Avec la chaleur irrésistible, je n’avais pas besoin de parler avec ces infirmières.

J’étais en plein regrets lorsqu’une jeune infirmière brune se tint devant moi avec un pyjama dans la main. Avec mes yeux mi-ouverts je la voyais avec ses cheveux en chignon derrière ses oreilles.

Elle m’a dit :

– Enlevez vos vêtements et portez ceux-ci. Ensuite, je vous emmènerai dans la chambre.

Il ne servait à rien de répondre. J’ai fait ce que l’infirmière m’a dit, puis je suis allé directement à la chambre. Sur le chemin, mes pensées étaient sur son chignon. L’infirmière a-t-elle mis exprès ses cheveux dans ses oreilles tôt le matin devant le miroir chez elle, ou les a-t-elle cachés derrière ses oreilles d’une main au travail ? En tout cas, on ne le saura jamais. Ma fièvre n’avait pas baissé et je pensais à n’importe quoi. Je ne savais même pas où étaient mes parents.

Nous avons dû traverser plusieurs bâtiments pour arriver à la chambre. Quand nous sommes passés à côté des bâtiments où j’étais, j’ai vu un petit parc. Il n’y avait pas de fontaines, il y avait deux ou trois bancs et des arbres mouillés. Les troncs des arbres et l’herbe sur le sol venaient d’être arrosés, mais ils avaient quand même l’air desséchés. Nous avons fait le tour du parc et avons atteint un endroit qui ressemblait à un centre d’accueil. Celui-ci n’était pas aussi grand que les autres bâtiments de la cour. A l’entrée était écrit «Service de Contrôle». Ce petit bâtiment ressemblait aux célèbres kiosques de Bakou au début des années 2000. À cette époque dans ces kiosques étaient vendus des chewing-gums, du pain, des cigarettes et des graines de tournesol. Je me souviens qu’il y avait un kiosque pareil dans notre quartier.

Tout le monde l’appelait «le kiosque de Seymour». Seymour n’y vendait que du pain. Lui-même ne s’est pas assis dans le kiosque ; Il avait installé son kiosque devant son immeuble et était assis dans sa maison. Avant d’aller demander du pain, il fallait aller chez Seymour, frapper à la porte et lui demander du pain à acheter. Regardez ça! Le client vient à la porte et vous demande de vendre du pain. Probablement, après l’effondrement de l’Union Soviétique, la transition vers le capitalisme et le libre marché a également eu lieu pareil dans d’autres pays post-soviétiques.

À cette période, personne ne pensait à l’offre et à la demande, à la satisfaction des clients, au marketing, etc. Peut-être Seymour pensait qu’il était le seul à vendre du pain dans ce quartier et que le client venait me l’acheter. Après la nomination de Hadjibala Aboutalibov à la mairie, tous les kiosques ont été enlevés et ont disparu. À mon avis, il a eu d’autres succès, mais l’une des contributions de Monsieur Abutalibov2 à la transition de notre pays vers une économie de marché libre a été l’élimination des kiosques pour toujours. En revanche nous étions encore devant le kiosque de Seymour. Bref, on a parlé de Seymour, de Hajibala, du pavillon et l’hôpital a été oublié. Il y avait des bancs pour deux ou quatre personnes dans le service de contrôle, et il n’y avait personne à part le policier assis derrière la fenêtre. Il semblait regarder une série à la télé. En tout cas, sur la base du dialogue entendu au téléphone en turc, on pourrait le penser. Très probablement, il s’agissait d’un point de contrôle. Tout le monde passait le kiosque de l’autre côté, vers la plus grande cour de l’hôpital. Nous avons fait de même. Mais le parc que nous venions de visiter était déjà derrière le service de contrôle. Il y avait beaucoup de voitures dans la grande cour où nous venions d’entrer. Le personnel de l’hôpital semblait l’utiliser pour garer ses voitures. Celles-ci étaient très grandes et très belles. En fait je ne connais pas grand-chose aux marques de voitures, mais quiconque serait à ma place verrait que ces voitures sont très chères. Je me suis demandé si les médecins avaient autant d’argent pour acheter des voitures tellements chères.

Nous avons passé le chemin à droite près de la cour et sommes allés dans la zone où se trouve le bâtiment à plusieurs étages. Probablement l’infirmière aux cheveux noirs que je suivais m’emmenait dans l’un de ces bâtiments. Entre les parenthèses je dois dire que cette jeune femme ne s’est jamais retournée pour me regarder et pour parler. Eh bien, cela n’avait pas trop d’importance pour moi. Dans l’armée, j’ai entendu des officiers dire que « les officiers doivent faire preuve de fermeté avec les soldats ». Je pensais que l’infirmière brune connaissait bien la psychologie du soldat. De plus, il est probable qu’elle emmenait beaucoup de soldats chaque jour dans une chambre d’hôpital. Elle ne peut pas bavarder avec tout le monde. En approchant de l’un des bâtiments, j’ai compris que j’allais rester ici. J’aimerais vous parler de l’apparence de ce bâtiment, où je resterai quelques jours avant de rentrer. Comme un simple soldat, j’ai beaucoup de temps et j’ai besoin d’écrire pour passer le temps jusqu’à ce que je quitte l’hôpital. Après tout, j’ai une longue et belle vie devant moi !

Le bâtiment de quatre étages était entouré de pins verts. Les arbres se tenaient fiers comme un officier, ignorant le froid de janvier. Ils étaient également alignés en fonction du caractère de l’unité militaire. C’était comme si quelqu’un avait posé une règle sur le sol avant de planter ces arbres, et le jardinier avait enterré les graines une à une derrière la ligne pour que les arbres se rangent en grandissant. Si un rêveur regardait le parc depuis le ciel, il aurait pu penser que les arbres alignés formaient une division militaire et entouraient le bâtiment au milieu. Peut-être que « la division » pense même attaquer le bâtiment, mais attend que les occupants finissent leur repas pour pouvoir pénétrer par effraction dès qu’ils auront perdu leur resistence. Mais c’est inimaginable ! Imaginons qu’il y a la nouvelle :

– « Des arbres ont attaqué le bâtiment et ont sans pitié tué des médecins et des soldats qui ont délibérément échappé au service militaire !« 

Oh là là ! La voix décidée de la présentatrice se fait entendre à la radio, dans les voitures des citadins :

« Dans le même temps, un groupe de jeunes soldats prétendant être honnêtes, sincères et vrais patriotes, mais affirmant qu’ils ne pouvaient pas s’adapter aux lois impitoyables et arriérées de la vie militaire, s’est échappé de l’hôpital en utilisant la confusion causée par l’attaque inattendue des arbres ».

Selon les médias, les jeunes soldats ont donné un autre nom à leur évasion : « Break for Humanity ». Selon les experts, les jeunes se sont inspirés de la série télévisée populaire « Prison Break » et ils ont donc pris ce nom de là. Il est à noter que des centaines d’utilisateurs sur les réseaux sociaux partagent déjà leurs photos de profil sous la rubrique « Break for Humanity » en exprimant ainsi leur soutien aux jeunes soldats. Sur les réseaux sociaux les jeunes en fuite ont déclaré qu’ils avaient fui non pas en tant que fugitifs, mais en signe de protestation contre l’ordre mondial, les guerres et les armements, qui sont utilisés par une force physique non intellectuelle mais impitoyable ».

Citation : « Le service comme concept sociologiquement constructif de la soi-disant patrie peut se faire non seulement en marchant au pas, avec un fusil de chasse, en préparant la guerre, mais peut aussi être réalisé d’une manière alternative. Par exemple, en s’engageant dans une activité scientifique et humanitaire pour le pays, en améliorant le bien-être de la population, en luttant pour l’établissement d’un système juridique juste ou pour toute autre activité bénéfique pour la patrie. Dans ce cas, le fait que le service militaire obligatoire existe toujours, indépendamment de l’âge, du désir et, dans la plupart des cas, de l’état physique et mental, qu’il condamne nos citoyens de sexe masculin de 18 ans pendant un an et demi, devrait être considéré comme arriéré, inutile et dénué de sens au vingt-et-unième siècle. Ce n’est pas un hasard si la plupart des pays dotés d’armées sont les plus développés au monde aujourd’hui et que des gens ont rejoint l’armée à titre professionnel, c’est-à-dire avec un salaire élevé, avec l’ambition de se lancer dans une carrière militaire. Les autres pays développés où le service militaire est obligatoire sont les pays dotés d’une industrie et d’une technologie militaires qui soient les plus avancées. À cet égard, nous, les jeunes, demandons l’adoption de la loi sur le « service militaire alternatif » et le transfert du service militaire vers un choix personnel des citoyens.

Si quelqu’un pense que la possibilité d’un service militaire alternatif pour notre pays en guerre est hors de question, nous voulons leur dire que si le seul but de posséder une armée est de reprendre le Karabakh ou de s’assurer que chaque citoyen a un minimum d’entraînement militaire dans une vraie guerre, il n’est pas nécessaire de réunir plusieurs centaines d’hommes ensemble, de les nourrir trois fois par jour, de les faire se raser tous les jours et de les faire courir tôt le matin. Nous nous devons nous rappeler que tout cela est une manière inefficace et non optimale d’avoir une armée forte et professionnelle, au détriment du budget de l’État en termes de logistique et de finances.

Pour résoudre le problème, il suffit de se référer à l’expérience mondiale : chaque citoyen, quel que soit son sexe, doit participer à une formation militaire obligatoire dans le cadre de l’enseignement secondaire. De cette manière, tous les citoyens, y compris les femmes, peuvent théoriquement être préparés à la guerre. Bien sûr, quand on parle de formation obligatoire, on ne parle pas d’un système de relations entre soldats régis par des «lois pénitentiaires» et d’un système militaire avec un grand nombre d’officiers essayant de piller les biens de l’État.

Nous envisageons un mécanisme de formation à court terme qui offre aux citoyens une formation pratique et physique sur des questions importantes. L’organisation de tels exercices obligatoires coûtera non seulement moins de ressources à l’État, mais conduira également à une formation militaire plus efficace dans le pays.

Si quelqu’un veut servir son pays en première ligne sur la base d’un choix individuel, avec des armes et une formation militaire professionnelle, il pourra rejoindre l’armée nationale. Nous pourrons seulement être fiers de ces jeunes. Il n’est pas nécessaire d’ajouter que les membres de l’armée professionnelle auront une carrière militaire mieux rémunérée et plus professionnelle au grâce aux des économies réalisées grâce aux réformes proposées ci-dessus ». Fin de la citation – la présentatrice a terminé le texte qu’elle a lu avec une grande émotion. Suite à cette nouvelle sur les jeunes, la voix du patriotisme a été entendue à ce sujet.

« Vous savez, c’est affreux! C’est horrible! Il ne suffisait pas à un groupe de voyous intellectuels qui manquaient de force et de volonté de surmonter les difficultés du service militaire, ils ont créé un «mouvement» mordant au cœur de Bakou et essayé de déstabiliser le pays et de donner le mauvais exemple aux autres jeunes. Ils cachent leur trahison et leur lâcheté derrière les caprices de l’humanité, de l’humanisme et du service alternatif. Vous savez, ces jeunes n’ont aucune expérience de la vie, ils pensent que la vie, la sécurité nationale, le bien-être du peuple, les théories de l’humanisme qu’ils étudient, étaient des problèmes faciles à résoudre dans les pays occidentaux stables dans lesquels ils voyagent pendant un jour ou deux. Ils ne comprennent pas que la plupart des pays dits épris de paix, qui promeuvent la paix, la fraternité, l’égalité et l’idée d’une éducation alternative, ont historiquement exploité d’autres peuples. Ceux qui n’ont pas perdu leur terre, mais qui se sont appropriés le territoire d’autrui, ou qui ont été renforcés au fil des siècles par la richesse d’autres nations, peuvent parler de paix, de droits de l’homme et fraternité des peuples du monde.

L’Azerbaïdjan est un pays en guerre, Notre peuple n’a pas eu son indépendance facilement, le peuple de cette terre a créé un État à partir de rien au début du siècle dernier. Dans le cas présent, toutes nos ressources matérielles, spirituelles et humanitaires sont mobilisées à juste titre pour protéger notre indépendance et assurer notre future victoire dans notre lutte pour l’honneur. Cela devrait être le cas. Lorsque nous accrocherons notre drapeau à Shusha, Lachin, Khankendi, ces jeunes se moqueront des représentants de cette nation déshonorante. Ceux qui ne sont pas satisfaits du chemin que nous avons emprunté, ils ne sont pas de nous. Laissez-les partir au diable…»

La voix de l’intellectuel devenait de plus en plus basse. Il semblait que son temps était terminé. Il était maintenant l’heure pour les publicités.

J’ai même rêvé d’une publicité à la radio où la voix de l’infirmière me réveillait de mon rêve.

L’infirmière a rencontré sa collègue et amie dans les escaliers. Je me suis souvenu de ce qui m’est venu à l’esprit à propos de l’attaque de la division des arbres sur le bâtiment et ça m’a fait rire. On dirait que cette fièvre a repris mon imagination.

Mais à part de cela, j’ai toujours cru que les autres êtres vivants de l’univers ont aussi un monde, un système nerveux, de la colère, de la haine, des sentiments et des désirs.

Que se passe-t-il si ce sont les arbres ? Seuls les gens devraient s’entre-tuer et devrait faire de même avec la nature ? Laissez les rivières, les lacs, les montagnes, les prairies se mettre en colère et s’en prendre aux gens.

Par exemple, dans la ville japonaise d’Hiroshima, les plantes qui souffrent depuis de nombreuses années, ripostent et envoient une tornade au Pentagone !

Ou les outils de coupe, les biens, les bijoux, les coffres et autres objets enterrés au Karabakh sortiront de terre et attaqueront les bases militaires des forces des occupants dans l’espoir que les Azerbaïdjanais vont revenir bientôt après avoir été obligés de quitter leurs maisons.

C’est bon comme idée ? Je pense que la fièvre n’a pas baissé. La boule chaude qui tremblait dans mon cerveau répandait la chaleur sur tout mon corps, me faisant gémir. Je n’avais pas d’humeur.

En revanche, pourquoi une personne normale pourrait-elle écrire sur la guerre des arbres avec le peuple ou l’attaque terrestre contre le Pentagone en ce jour du mois ?

Pendant que l’infirmière discute dans les escaliers avec son amie, je veux dire un mot sur le temps avant d’entrer dans le bâtiment. Il faisait très froid. En général, janvier n’est pas si froid à Bakou depuis de nombreuses années. Il semble que le terme « changement climatique » que nous entendons souvent dans les journaux, sur les sites Web, dans les discours de scientifiques et de stars hollywoodiennes, ne soit pas un terme inventé simplement pour que l’on parle d’eux, mais en fait une violation de l’équilibre écologique de la terre. Les enfants rêvaient d’une boule de neige à Bakou depuis 10 ans mais ils ne le voyaient pas, ils ne voyaient que le froid. Quoi qu’il en soit, Bakou vivait l’un des jours le plus froid. J’attendais impatiemment que l’infirmière finisse de parler devant le bâtiment de l’hôpital, avant enfin de rentrer dans ma chambre.

Je me souviens que quelques minutes plus tard, je suis arrivé au 3ème étage où se trouvait la pièce.

L’infirmière, qui ne m’avait pas parlé depuis le matin, m’a confié à sa collègue et est partie. La nouvelle infirmière a écrit mon nom de famille, le nom de mon père et le numéro de l’unité militaire, puis s’est levée de sa chaise pour me montrer la chambre où je logerais. Lorsqu’elle se releva, la chaise roulante sur laquelle elle était assise a fait du bruit. Probablement parce que la chaise était un peu vieille. L’infirmière est sortie du bureau et m’a montré le bout du couloir avec sa main gauche. Je me suis dirigé vers le bout du couloir.

* * *

Dès que je suis entré dans la chambre, je me suis couché et je suis tombé dans un profond sommeil à cause de la douleur à la tête et de la fièvre. Quand je me suis réveillé, il était cinq heures du soir. J’ai vu de la fenêtre qu’il faisait déjà nuit. Je n’ai pas été surpris que le soleil disparaisse si rapidement à la mi-janvier. Quand j’ai ouvert les yeux, l’infirmière que j’ai vue pour la première fois se tenait au-dessus de ma tête. Elle fouillait dans une boîte remplie de médicaments pour faire la piqûre. Après m’être réveillé, j’ai essayé de récupérer pendant environ quatre ou cinq minutes. Le rugissement du vent pouvait être entendu à l’extérieur des murs de la salle.

J’étais somnolent. Où suis-je ? Qui est cette femme ? Pourquoi y a-t-il cette odeur ? Pourquoi est-ce que je porte ces vêtements ?

Il ne m’a fallu que quelques minutes pour me rendre compte que j’étais à l’hôpital, qu’il restait 172 jours avant la fin de mon service militaire, et que l’hiver était encore dehors. J’étais désespéré et je me sentais comme enfermé dans une cage. Je me penchai en avant et suivis les gestes de l’infirmière. J’avais peur des aiguilles comme mon père. Mais cette fois j’ai accepté sans hésitation.

J’espérais que je me réveillerais peut-être après l’injection et que ma dépression disparaîtrait.

Quand l’infirmière a fini, elle m’a dit de ne pas bouger pendant une heure. Quand bien même je n’avais ni l’humeur ni le désir d’agir. J’ai regardé le plafond pendant quelques minutes, sans savoir si mes yeux le fixaient. Pour décorer la pièce où logeaient les soldats dans l’esprit national, des cercles en forme d’étoile ont été ajoutés autour du lustre.

J’ai commencé à compter les cercles. Un deux trois quatre cinq…

-Savez-vous pourquoi l’étoile sur le drapeau a 8 branches?

Le son m’a réveillé. C’était comme si quelqu’un d’autre, pas moi, regardait le plafond.

J’ai levé ma tête puis je l’ai tournée vers la gauche, du côté d’où venait le son.

Dans le coin, sur le lit devant la fenêtre, un soldat à moitié nu me regardait.

Il y avait un lit vide entre nous. Le lit était bien rangé.

Je tournais mes yeux vers le garçon. Il me parla à nouveau:

– Je veux vous parler du drapeau. Savez-vous pourquoi les branches de l’étoile sont au nombre de huit? Les Turcs en ont cinq et nous en avons huit. Pourquoi cela ne vous intéresse-t-il pas ?

Je n’y ai pas beaucoup réfléchi pour répondre.

-Il n’y a pas de réponse unanime au sujet de l’étoile. Chacun a sa propre version pour répondre. Chacun a une différente version de réponse. Selon certains, Rassoulzadeh3 a fondé l’État sur huit principes, et le nombre d’étoiles sur le drapeau est de huit. Une autre opinion est que dans l’ancien alphabet, le mot Azerbaïdjan se composait de huit lettres, et nous avons mis huit étoiles dans le coin. La troisième version est liée aux huit anciennes tribus turques qui existaient dans l’histoire. Peut-être qu’il existe d’autres versions, je ne sais pas.

-Oui, je n’ai entendu que l’explication concernant l’alphabet précédent. Mais on se demande pourquoi les Turcs ont pris une étoile à cinq branches. Si la version des huit tribus était vraie, alors ils auraient dû en avoir aussi huit. Après tout, nous sommes tous les deux Turcs. Pour quelle raison les Turcs ont-ils choisi cinq branches?

-Oui, peut-être que tu as raison. La raison alphabétique me semble plus raisonnable.

Afin de ne pas prolonger la conversation en vain, j’ai donné une réponse courte. Franchement, ça ne m’intéressais pas de savoir pour quelle raison l’étoile du drapeau avait cinq ou huit branches. La question qui me dérangeait le plus était : serait-il préférable de compter les cercles au plafond, ou de parler un peu d’histoire, des étoiles avec lui ?

Il y avait une ou deux personnes dont je pourrais normalement parler pendant mon service militaire.

L’un d’eux était mon ancien commandant. Il ne pouvait pas rester longtemps dans notre unité militaire parce qu’il était trop intelligent. Probablement parce que les valeurs qu’il préférait dans ses relations avec les gens n’étaient pas tout à fait adaptées au domaine dans lequel il travaillait. C’était normal. Le problème le plus important dans l’unité militaire, située à seulement 25 km de la frontière avec le Haut-Karabakh, c’est plus de préparer l’armée à la guerre que la valeur de la personnalité, les principes humanistes. La liberté de l’individu, la valeur qui lui est donnée sur le plan personnel, n’a-t-elle pas déjà été ignorée au nom des idéaux que la société a toujours jugés ? Après tout, l’histoire de l’humanité est pleine de guerres entre États fondés par de tels individus. Dans ces guerres, la vie, l’honneur et la liberté de millions d’individus n’ont-ils pas été détruits dans les lieux où ces guerres se sont déroulées ? Il n’y pas de commandants humanistes, mais il y a des militaires qui apportent la victoire au pays. L’existence de nations et d’Etats a été possible grâce à ces victoires. C’est pour cela que mon commandant était dans l’erreur car il s’est chargé d’un devoir qu’il ne pouvait pas surmonter, et a choisi ce métier sans comprendre pleinement les lois générales de la vie militaire.

La deuxième personne que j’ai rencontrée pendant mon service était mon camarade Michael.

Michael était formé dans le domaine de l’énergie. Il voulait être ingénieur. Il a eu une année d’expérience professionnelle avant de rejoindre l’armée. La physique, la chimie, les mathématiques étaient ses matières préférées. Bien que petit, son corps était relativement grand. S’il était un animal ayant une forme physique, il serait alors un animal petit mais carnivore. Michael détestait toutes les religions. Il ne voulait pas voir d’hommes et de femmes religieux. Son affirmation était que toutes les religions sont fausses. Il a toujours défendu ce qu’il pensait en disant que peu importe les hommes intelligents ou scientifiques que vous regardez dans le monde, presque tous sont soit athées, soit agnostiques. Puis il terminait son argumentation toujours avec ces mots : « Parce que ces personnes sont très intelligentes, elles peuvent comprendre la vérité plus vite que nous ».

Michael était également un nationaliste turc. Son oncle était l’un des jeunes qui a fait ses études en Turquie au début des années 1990, envoyé par Elchibey4. Probablement sous l’influence de son oncle, Michael est devenu nationaliste turc. Il citait toujours les paroles de son oncle et parlait de lui avec fierté.

Dans le même temps, Michael parlait beaucoup des traditions, du courage et de la liberté des femmes des anciens Turcs. Michael pensait que si une personne est de nationalité turque, elle naît plus courageuse que les autres. Quand je disais à Michael en le taquinant que la plupart de toutes les religions, y compris l’islam lui-même, exigeaient que le vrai musulman ait des valeurs qu’il a énumérées, il était en colère et disait que les religions étaient créées par des gens pour manipuler les autres. J’ai vraiment aimé l’écouter. Bien que j’étais en désaccord, j’ai beaucoup appris de lui. Surtout dans le domaine des sciences exactes.

Le jeune homme qui me fixait dans le coin gauche de la pièce où j’étais, me rappelait maintenant mon commandant et mon ami Michael, et m’aidait à traverser les jours difficiles. Nous avons discuté jusqu’à 3 heures du matin. J’aimerais bien parler de ce jeune qui s’appelle Akbar.

Akbar était métisse mais ressemblait plus à un azerbaïdjanais, il était de taille moyenne. Bien que son visage n’était pas barbu, il n’était pas considéré comme complètement rasé. Certaines parties de son visage, comme les bords de sa mâchoire inférieure, le côté de sa joue vers son nez et le coin de sa lèvre supérieure sous son nez, étaient velus, mais le reste restait propre comme les adolescents. Akbar n’était pas gros. Il avait un poids qui correspondait à sa taille et il avait un beau visage. Quand vous regardez les lignes de son visage, la plupart des gens se rendent immédiatement compte qu’Akbar n’est pas venu dans ce monde pour servir dans l’armée. Mais personne ne pouvait oser dire que si Akbar n’avait pas de telles caractéristiques faciales, il pourrait être considéré comme apte à travailler dans l’armée. Parce qu’il y avait autre chose dans son apparence que je ne pourrais pas exprimer, cela convaincrait tous ceux qui l’écoutaient, qu’il était né pour un domaine complètement différent. Bien sûr, ce sont mes hypothèses et mes observations sur Akbar.

Parfois, une personne peut se tromper sur quelque chose qu’elle ressent et en quoi elle croit. Par conséquent, il est préférable pour nous de réfléchir à deux fois avant de prendre une décision finale sur un sujet, de clarifier, d’essayer d’aborder la question sous différents angles, puis de décider. Avec cela, j’ai commencé à interroger Akbar. Akbar avait trop de choses qui lui pesaient sur le cœur.

Ce qui m’a surpris, c’est qu’Akbar n’était pas un soldat, mais un cadet. Il n’avait même pas 18 ans.

Après avoir terminé à 15 ans le collège sur les conseils de ses parents et de ses proches, il a transmis les formulaires d’inscription au lycée militaire Jamshid Nakhchivanski, où il a étudié les deux dernières années. Mais Akbar n’avait pas décidé d’étudier dans ce lycée et de se lancer dans une carrière militaire, ce les autres qui ont décidé à sa place. Quand nous disons autres, ce sont sa mère-Ludmila et son oncle militaire Rasim. Akbar ne m’a pas dit un mot sur son père. Je n’ai pas osé poser cette question. Mais je pensais que ses parents étaient probablement divorcés ou que son père était mort. Encore une fois, ce n’était que ma supposition. Peut-être que la vérité était différente de ce que je pensais. Si son père était vivant, il ne permettrait probablement jamais aux autres décider à sa place. Mais, bien sûr, il est possible de comprendre Mme Lyudmila et son oncle Rasim.

Mme Lyudmila a pu penser que son frère travaillait dans ce domaine depuis de nombreuses années, qu’il connaissait quelques officiers qui étaient connus dans le pays et qu’il y avait peut-être quelqu’un au ministère de la Défense. Bien que ce ne soit pas le cas maintenant, peut-être que dans le futur Akbar va commencer à aimer cette profession après avoir terminé ses études militaires, et quand il grandira, il deviendra un individu indépendant, il aura un métier. Bien sûr, ce n’est un secret pour personne que l’homme n’est pas une créature douce, il n’est jamais satisfait, il veut toujours le meilleur pour tout, il se bat pour cela. Mais par rapport à la situation, une personne peut s’habituer et s’adapter à tout. Akbar sera reconnaissant pour ce métier au fil du temps, il sera indépendant quand il va gagner sa vie par lui-même et un jour il remerciera sa mère et dira « merci pour ce choix ! ». Il ne faut pas tarder à choisir une profession pour se trouver dans la vie. Disons simplement que quand il était jeune c’était le moment de choisir le métier car après il sera trop tard. Il n’y aura pas de frère et de sœur pour l’aider. Mme Lyudmila avait probablement raison de s’inquiéter de l’avenir de son fils.

On pourrait penser que si c’était sa mère à la place de Mme Lyudmila elle penserait la même chose qu’elle. Akbar n’aura pas faim quand il atteindra l’âge de la retraite. Il aura une fiche de salaire chaque mois lui permettant de vivre. Heureusement, il y a des métiers dans notre beau pays où vous pouvez survivre au moins jusqu’à ce que vous vieillissiez. Bien sûr que je parle de confort d’argent. Le côté moral de la question on laisse Akbar y réfléchir.

Quant à son oncle, il faut également essayer de comprendre M. Rasim. Il se sent obligé d’aider sa sœur et son fils. Sans cela, un enfant de cet âge ne sait pas ce qu’est la vie, quelle profession il est stratégiquement plus correct de choisir, quelles difficultés peuvent l’attendre à l’avenir, etc. Après tout, quand nous sommes jeunes, nous pensons tous que nous serons toujours jeunes et énergiques, nos parents et nos proches seront autour de nous pour la vie, le soleil nous réchauffera de sa lumière chaque matin, et nous ressentirons toujours cette chaleur dans nos cœurs et vivrons chaque jour avec joie et amour. En ce sens, on peut dire que les parents et l’oncle d’Akbar ne pensaient pas mal.

Pour Akbar, malheureusement, la vérité est très dure. Il est possible d’examiner chaque problème et chaque situation sous plusieurs angles. Bien que chacun ait raison en lui-même, il est également injuste envers les autres. Akbar le pensait. Il était convaincu qu’il n’était pas un militaire et ne voulait pas en être. Le régime militaire, ainsi que les principes de ce domaine l’ont aussi dégoûté. Il voulait dire qu’au XXIe siècle, quand l’homme pouvait envoyer une fusée sur Mars pour la recherche, pourquoi dans ce cas-là avoir une armée de plusieurs milliers de personnes. Je ne veux pas en faire partie si cela peut préparer un groupe de personnes à détruire. La vérité d’Akbar niait la guerre et, de son point de vue, tuer les autres pour protéger la soi-disant patrie et les gens qui y vivaient n’était pas différent d’une lutte sauvage menée par des êtres peu évolués.

Il a dit: «Oui, je comprends que le monde a ses propres lois. Si vous ne faites pas, les autres vous tueront. Il faut être fort pour rester en vie. C’est la nature. La lutte pour la vie parmi les animaux se poursuit à tout moment. Mais nous sommes humains ! Nous sommes toujours fiers d’être humains. Même lorsque nous nous insultons les uns les autres, nous mentionnons le nom de n’importe quel animal pour que cette personne sache – vous êtes un animal et je suis un être humain. Alors pourquoi nous tuons-nous comme des animaux ? Au moins, des animaux, ils ne se battent pas avec ceux du même sexe, au contraire, ils se battent avec les autres. Les animaux ne peuvent pas faire leurs propres choix et décisions. La seule raison pour laquelle ils se battent est de survivre et de ne pas mourir de faim. Nous sommes des humains. Nous n’avons pas besoin de tuer quelqu’un pour nous nourrir. Par exemple, une gazelle ne pense pas à se protéger d’une autre gazelle. Sa peur est celle du lion. Ou un mouton ne crée pas une armée pour tuer un autre mouton, son ennemi est un loup. Bien que nous ayons des races différentes, nous sommes en fait les mêmes. Bien que notre couleur, notre apparence physique et notre culture soient différentes, nous ressentons la même chose dans les domaines fondamentaux. Nous voulons tous vivre en sécurité, être heureux, aimer, être aimés. Après tout, il y a très peu de gens dans le monde qui ne se sentent pas mal quand ils voient une vidéo d’un garçon de trois ans sous les bombes, sans aucune culpabilité. Tu me comprends, Tural ?»

Bien sûr, je ne pense pas qu’il y ait peu de lecteurs qui partagent les mêmes points de vue avec Akbar.

* * *

Quelques jours plus tard, j’étais guéri et je suis retourné à l’unité militaire. En plus j’ai pu rester à l’hôpital deux jours plus que prévu. Même si j’ai quitté l’hôpital très rapidement, je pensais encore à Akbar et à sa situation difficile. Avant de dire au revoir, je lui ai même donné mon numéro de portable pour qu’un jour il me raconte comment il comptait persuader sa mère et son oncle de quitter le lycée militaire. Je lui souhaite de faire ses études dans un autre domaine que militaire.

Des années et des mois ont passé, j’ai tout oublié et même Akbar aussi. Un jour je rentrais chez moi dans le bus en m’appuyant contre la vitre. Dans ma main je tenais le livre Guerre et Paix, je regardais par la fenêtre le ciel nuageux de Bakou, j’ai soudainement reçu un message d’un numéro inconnu :

« Bonjour. Comment allez-vous?

Akbar.




1Le dolma l’une des principales spécialités en Azerbaïdjan, préparé avec des feuilles de vigne ou feuilles de chou blanc farcies à la viande, au riz et aux légumes.

2 Monsieur Hadjibala Aboutalibov était maire de la ville de Bakou pendant les années 2001-2018. Il était une personnalité politique qui a fait parler de lui à propos de décisions concernant la situation sociopolitique de l’Azerbaïdjan.

3. Rassoulzadeh M.E. est l’un des fondateurs de la République démocratique d’Azerbaidjan (1918-1920)

4. Elchibey était le président de la république d’Azerbaidjan (1992-1993)


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