Dans l’obscurité et quand les lumières s’éteignent 23 février 2022 – Publié dans Littérosa
Rasim Garaja est né en 1960 en Azerbaïdjan. Journaliste de profession, il est diplômé de l’Université nationale d’Azerbaïdjan. Il a travaillé en tant que reporter dans de nombreux organes de presse azerbaïdjanaise. En 1991, après la chute de l’URSS et l’indépendance de l’Azerbaïdjan, il a commencé son activité libérale. Il est le fondateur de la première association littéraire d’Azerbaïdjan, « Baca » (La cheminée). Il a également créé la revue de cette association, « Yaşıl söz » (La parole verte). Après avoir vécu en Russie pendant les années de transition et de crise, il est revenu en Azerbaïdjan en 2000. À son retour, il a fondé l’organisation littéraire « Azad Yazarlar Ocağı » (L’Union des écrivains libres) et la revue « Alatoran » (L’aurore). Cette revue a joué un rôle fondamental dans la formation d’écrivains de la nouvelle génération. Actuellement, il est le directeur de la maison d’édition « Alatoran ». Celle-ci a publié plus de 500 livres jusqu’à aujourd’hui. Rasim Garaja est l’auteur de 15 livres de poèmes, de nouvelles et de romans. Il s’exprime contre les traditions soviétiques, aussi bien dans ses œuvres, que dans ses rapports avec la littérature et les écrivains. Il refuse le style traditionnel dans ses œuvres. Il est connu par ses expérimentations littéraires.
Je demande au Docteur Ravik s’il existe un terme qui décrit le viol des vivants par un mort. Je sais à quel point il brille dans les questions terminologiques.
Mais même si mon ami a dit que l’antonyme du mot « nécrophile » n’existait pas, il commença, pour répondre à ma question, à parler des évènements très étranges ayant eu lieu dans le bourg où il avait vécu jusqu’à récemment.
Trois crimes, qu’il serait impossible de voir dans les romans policiers, avaient eu lieu les uns après les autres dès les premiers jours dans le bourg X où il avait été envoyé après ses études à l’Institut de médecine.
Les victimes étaient Hasrat Khosrov, le vieux professeur de mathématiques de l’école N° 2, l’alcoolique Nicolaï Osmanov, le client éternel du bar « Lébed » et Mahzura Sultanova, une femme au foyer âgée de soixante-trois ans. Même si ces personnes étaient aux pôles opposés par leur appartenance sociale, le mode opératoire de ces trois crimes était presque identique.
Comme le docteur n’était pas intéressé par ce genre de choses, il ne s’était pas attardé sur cette étrangeté. Son devoir était de soigner les personnes. Le lieu, la nature et l’auteur d’un crime n’étaient pas importants pour lui. Mais cette affaire était tellement étrange qu’il avait dû dresser l’oreille sans le vouloir.
Toutes les trois personnes avaient été attaquées la nuit, dans un endroit sombre et devant l’entrée de leur immeuble. Ces trois personnes rencontraient des difficultés à décrire le criminel. Une chose était sûre : il était de petite taille. C’est tout. Tel un vent, il avait foncé sur ces personnes et avait réalisé son crime un en clin d’œil. En examinant les personnes blessées, il avait prêté l’oreille aux discussions des policiers et avait essayé de comprendre leur questions. Pour le moment, le mobile du crime reste inconnu aussi bien pour les organes de police que pour les gens simples.
Le Docteur Ravik avait été au cœur de ces évènements et s’était rapidement trouvé sur le lieu du crime en tant que médecin urgentiste de garde. Il détenait des informations non connues de personnes simples. Pendant longtemps, il avait vécu dans la peur pour avoir connu certaines choses. Mais maintenant, il pouvait parler sans peur de ces évènements car il ne vivait plus dans ce bourg.
Selon lui cette affaire ne se limitait pas à ces trois personnes. Ses patients qui prenaient le docteur pour leur confident lui avaient dit en secret que de semblables crimes avaient été perpétré dans ce même bourg pendant presque dix ans. Tout le monde avait même peur d’en parler. Ils avaient même supplié le docteur : « S’il te plaît, n’en parle surtout pas aux autres ! Garde-le pour toi ! » Mais le docteur n’était pas resté sans rien faire ; après avoir analysé ce qu’il avait entendu, il avait petit à petit commencé à étudier cette affaire.
Le problème c’est que les victimes de ces attaques ne parlaient que du fait d’être battues et menacées. Or, l’examen médical montrait que le crime ne s’arrêtait pas là. La journaliste Mahliga Köparli, qui aurait reçu un coup avec un instrument émoussé par un inconnu à l’entrée de l’immeuble, était restée inconsciente pendant un moment avant d’être retrouvée presque nue.
Le docteur avait maintenant de l’expérience. Il mordillait les lèvres quand il apprenait des affaires ayant eu lieu à l’entrée d’un immeuble. Il demandait à la victime de manière détournée si celle-ci avait fait l’objet d’un viol. D’habitude, les victimes taisaient cet aspect de l’affaire ; c’était un petit bourg et elles craignaient les rumeurs. Le docteur estimait que cette personne de petite taille, qui était restée fidèle à son mode opératoire pendant des années, était un obsédé sexuel. Cependant, il n’était pas très sûr de sa conclusion. Il restait bloqué par une question qui défiait la logique : pourquoi la majorité des victimes de cet obsédé sexuel était des personnes âgées et surtout proches de la mort ?
L’aspect général du crime était le suivant : Le meurtrier agissait seul. Il attrapait sa victime uniquement à l’entrée des immeubles et lorsque les lumières étaient éteintes. Les lumières de toute la ville étaient éteintes la plupart du temps lorsque le crime était perpétré. Le criminel n’avait pas l’intention de braquer les victimes. Même si ce n’était pas un fait confirmé à chaque fois, le docteur estimait que les personnes subissaient le viol dans tous les cas. Mais le fait le plus étrange et le plus incompréhensible était l’extrême difficulté de définir les victimes choisies par le criminel. Pourquoi il violait des personnes âgées de soixante-dix ans et une femme handicapée et malade en la déshabillant devant l’entrée même d’un immeuble.
L’affaire N° 2286 gardée dans les archives de la police de la ville « X » indiquait qu’une certaine Balakhanim Chadmirzayeva, fille de Mücharraf, âgée de cinquante-deux ans et vivant en 1984 au 11, rue Rasul Rza et travaillant comme femme de ménage au journal « La voix lumineuse » avait subi l’attaque d’une personne inconnue devant l’entrée même d’un immeuble et la femme blessée avait été transférée à l’hôpital dans un étant inconscient. Le Docteur Ravik était personnellement présent lors de cette affaire et avait pu examiner les parties intimes de la femme inconsciente dans l’ambulance. Il ne s’était pas trompé dans ses conclusions : les parties intimes de la femme étaient en sang. Un viol d’une extrême cruauté était indéniable. Comme si une personne de type « terminator » qu’on voit dans les films de science-fiction avait écrasé la femme en un clin d’œil. Plus tard, le docteur avait essayé d’élucider ce crime et avait rencontré le juge d’instruction de cette affaire et la femme. Une chose était incroyable. En effet le viol de la femme n’avait pas été mentionné dans les registres officiels et la femme n’acceptait absolument pas d’en parler.
Le comportement de la police et le fait que les lumières de la ville entière soient éteintes taraudaient l’esprit du Docteur Ravik. Il avait très envie de résoudre le mystère de cette affaire insolite.
Il avait été témoin de faits étranges lors de ses visites chez les victimes avec le prétexte de réhabilitation et la prophylaxie de ces dernières. L’alcoolique Nicolaï Osmanov avait avoué qu’il était ivre quelques jours avant le crime et qu’il avait uriné sous la statue de Vladimir Ilitch Lénine au parc ayant le même nom. Il avait juré que la personne qui l’avait attaqué n’était autre que Vladimir Ilitch en personne. Ensuite, ce dernier aurait mis son doigt sur ses lèvres et l’aurait supplié de ne le dire à personne.
Même si le docteur n’avait pas cru le leader se ressuscitait les nuits pour violer les vieilles personnes retraitées devant même l’entrée des immeubles, cette idée avait trouvé sa place dans un coin de son esprit. C’était bien le côté le plus horrible de l’affaire : Pour le moment vingt-et-un personnes selon les comptes du docteur avaient affirmé d’avoir été violé sans s’en rendre compte pendant dix ans par le leader décédé. Par exemple, au toilette, la femme de ménage Balakhanim Chadmirzayeva avait utilisé comme papier toilette le journal dans lequel était publié la photo du leader. Elle avait alors compris que cet évènement honteux s’était passé à cause de cela. La pauvre femme en avait fait part à la mécanicienne Galina qui l’avait à son tour raconté au Docteur Ravik.
Il faudrait faire une parenthèse ici. Voilà ce qui s’était passé. Le docteur faisait des massages à Galina à ses heures de loisir. À ce moment-là, les lumières de la ville s’étaient éteinte de nouveau. Le docteur aurait prononcé sans s’en rendre compte : « Quelqu’un sera de nouveau violé à l’entrée d’un immeuble ». Après avoir entendu cette phrase Galina aurait pensé à Balakhanim et aurait raconté comment cette dernière avait jeté la photo du leader au toilette.
Il existait d’autres faits semblables à celui-ci.
Ce qui était arrivé à Ziyanverdi Yadullaoglu, l’auteur du roman « La tomate jetée sur la route », l’écrivain de province le plus lu et présenté dans la presse du pays comme un poète-psychiatre avait mis fin à tous les doutes du Docteur Ravik. Ceci avait été la toute dernière affaire qui s’était produit pendant que le docteur vivait dans la ville « X ». Il y a tout juste une semaine, était publié dans le journal « La voix lumineuse » le soixante-dix-septième article ayant pour titre « Lénine est avec nous » de Ziyanverdi Yadullaoglu, chef du comité du Parti communiste de l’Hôpital psychiatrique N° 2, membre du Conseil populaire de contrôle du bourg et auteur de quatre livres et de soixante-seize articles. Le jour de publication de cet article, le Docteur Ravik était allé par hasard à l’Hôpital psychiatrique et avait vu de ses propres yeux le grand tohu-bohu de l’équipe de celui-ci. Selon eux l’article mentionnait que le grand leader était un malade mental. Malencontreusement, l’expression « Chef du comité du Parti communiste de l’Hôpital psychiatrique N° 2 » était également écrite dans le journal sous le nom de l’auteur.
Le Docteur Ravik qui, lisait un livre dans son lit en fer au dortoir, avait alors compris de quoi il s’agissait quand les lumières de la ville s’étaient de nouveau éteintes. Poussé par la curiosité, il était descendu au rez-de-chaussée et avait utilisé le téléphone du gardien pour appeler les urgences où il travaillait. Si quelque chose était arrivée au poète, les suppositions du docteur seraient alors complètement justifiées. En composant le numéro de téléphone en entier, il avait senti une voix s’intensifier aux profondeurs de son cœur. « Pourvu que rien n’arrive à Monsieur Ziyanverdi. » Mais la nouvelle que l’infirmière de garde lui avait donnée avait été ressenti comme un coup de marteau sur la tête. « L’assassinat à l’entrée 2 de l’immeuble de 4, rue Agamirza Ahmedov… » Il savait que Ziyanverdi Yadullaoglu vivait à cette adresse.
Le docteur avait alors une idée globale des évènements. Il avait commencé à réfléchir sérieusement à ce qu’il allait faire et au comportement qu’il allait avoir. Devait-il appeler la police ? Ils allaient le prendre pour un fou. Mais d’un autre côté, on dirait que la police était elle-même de mèche. Parce que les personnes éliminées sont toutes des gens qui avaient protesté contre le pouvoir d’une façon ou d’une autre. Mais la police est un chien fidèle qui protège ce pouvoir. Cette idée lui avait effleuré l’esprit : il fallait qu’il commence à lutter tout seul contre ce monstre invisible comme dans des films américains. Il allait d’abord uriner sous la statue du leader ou bien, comme Balakhanim, il allait s’essuyer avec la photo du leader en allant aux toilettes. Tout cela suffirait pour ressusciter le leader décédé. Ensuite, il allait attendre l’arrivée du meurtrier en attendant en embuscade à l’entrée du dortoir avec un mouchoir trempé dans le chlorure d’ammonium. Mais… Il y avait un problème. Car le meurtrier n’était pas un être vivant et il ne savait pas si le chlorure d’ammonium allait réagir sur ce dernier.
Le Docteur Ravik avait sombré dans une profonde dépression à cause des complexités de ces pensées. A la fin, il avait décidé de quitter le bourg.
Traduit par Elvin Abbasbeyli.