« J-02 avant confinement » Jean-Emmanuel Medina 29 mars 2020 – Publié dans Littérosa – Mots clés: , , , ,


Jean-Emmanuel Medina, après avoir obtenu un doctorat en droit international en 2010, il décide de devenir avocat. Il prête serment en Alsace puis s’installe  au Barreau de Strasbourg. En 2017, il co-fonde les Éditions Kapaz.


Flash-back
J-02 avant confinement


Je passe mon dimanche à lire les informations dont le flot est incessant, à visionner de nombreuses vidéos, à téléphoner aux membres de ma famille, à mes amis et à quelques uns de mes clients. La conclusion que je tire de toutes ces heures d’information, et parfois de désinformation, est la suivante : le Covid-19 n’est pas un virus aussi inoffensif que les médias se sont plu à nous le rapporter pendant les semaines précédentes.

On observe ces derniers jours un glissement rhétorique chez les journalistes et les politiques dont le ton, sans être officiellement alarmiste, est devenu plus prudent. Et dire que de nombreuses personnes et personnalités de la société civile et du monde médical s’étaient improvisées infectiologues et répétaient sans cesse, à la façon d’un mantra, que le virus n’était au plus, qu’une « grosse grippe » !

Je leur en veux ! Oui, je leur en veux terriblement à ces médias, responsables en partie de l’absence de prise de conscience collective du danger réel ! D’ailleurs, jusqu’à la perte de contrôle du virus en Italie du Nord, il régnait en France une certaine légèreté, une insouciance même.

Ce dimanche, nous sommes appelés à voter aux élections municipales mais je ne compte pas m’y rendre. Plus tôt dans la journée, j’appelle mes parents pour leur dire que je ne sortirai pas de chez moi pour aller aux urnes, je les exhorte afin qu’ils en fassent de même. Le risque de contamination est réel, quoi qu’en disent encore certains pseudo-spécialistes, plus médiatiques que praticiens sérieux, et bien que les autorités « veillent » à mettre en place des règles particulièrement strictes afin de limiter le plus possible les contacts entre électeurs. J’explique alors à mon père que le maintien de ces élections est une opération de communication qui vise à nous faire croire qu’il ne faut pas s’alarmer. Pourtant, dans la mesure où notre scrutin est à deux tours, maintenir le premier dans l’incertitude d’une explosion épidémique ne permettant plus la tenue du second tour, était du point de vue politique une erreur, une faute même… mais « the politic show » must go on !

Je parviens à convaincre mes parents de ne plus sortir sauf cas exceptionnel. Ils font tous les deux partie des personnes dites à risque. Je me félicite de l’écoute qu’ils m’accordent. Même à distance, nous essayons de veiller les uns sur les autres.

En début de soirée et sans réelle surprise, les médias rapportent que le taux d’abstention aux élections municipales atteint un nouveau record. Parmi ceux qui s’y sont rendu, certains disent qu’ils l’ont fait par conviction et d’autres par devoir mais à contrecœur par peur du virus. Je respecte éminemment leur choix mais je considère que les pouvoirs publics auraient dû reporter le scrutin. Pendant ce temps, d’autres personnes, des milliers même et certainement parmi eux des citoyens abstentionnistes, sont tout simplement sortis sous le soleil, pour se promener, se balader dans les parcs, faire les marchés en promiscuité avec d’autres comme si l’annonce de samedi soir, de ne plus sortir inutilement, n’avait eu aucun effet ! Pourtant, les consignes avaient été plutôt précises : il ne faut plus se réunir en grand nombre chez soi ou à l’extérieur.

Je reconnais que la météo, par sa clémence et son avant-goût de douceur printanière, a poussé le citadin à contrevenir ostensiblement aux conseils prodigués la veille par notre Président. Tous les parcs de France ont été pris d’assaut, les images circulant sur les réseaux sociaux parlent d’elles-mêmes. Je trouve cela incompréhensible et irresponsable à la fois. C’est comme s’ils anticipaient un confinement qui approche inexorablement et qu’ils voulaient, à la façon d’un ultime bon repas avant un régime stricte, profiter au maximum des derniers moments de liberté.

Je me pose alors cette question à laquelle je n’aurai évidemment jamais de réponse : combien d’individus auront été contaminés sans le savoir ce même jour, en croisant un porteur sain ou un nouveau malade qui s’ignore car ses symptômes sont juste naissants ?

D’ailleurs, en regardant ces images de jardins et espaces verts bondés dans les grandes villes, je me suis également demandé si l’air pouvait aussi être un vecteur contaminant ?

Une demi-heure après l’annonce des résultats, je reçois un appel d’un numéro qui n’est pas inscrit dans mon répertoire mais dont je crois reconnaître la fin. Il s’agit d’un client, militaire de profession, qui prend très gentiment quelques nouvelles me concernant en utilisant, comme il le fait quelques fois, le téléphone de sa compagne. Nous discutons du bilan du jour et des chiffres transmis par l’agence Santé publique France dont j’ai pris connaissance un peu plus tôt dans la soirée, à savoir 5.423 contaminations officielles. De son côté, il me dit qu’il a été mis en alerte pour 45 jours et qu’on lui a distribué une combinaison NBC avec des masques étanches. Ce détail me fait croire que la situation est plus grave encore. Selon lui, les médias ne font qu’esquisser la problématique. Il m’affirme calmement, avec un ton plein de sollicitude, comme s’il voulait me rassurer et à la fois  me protéger, que l’épidémie suit une courbe à l’italienne. Le confinement va, selon lui, être annoncé. Au fond, ce n’est plus vraiment une surprise, je m’y attendais…

Plus grave encore, selon les informations dont il dispose, les fines particules pourraient être un facteur aggravant, l’un des vecteurs du virus. Aussi, il me conseille, si je dispose de masques, d’en mettre dès que je suis à l’extérieur de mon domicile. Il termine par me dire de faire des réserves alimentaires afin de tenir un à deux mois pour que je ne sois pas obligé, au plus haut de la courbe épidémique, de devoir sortir et prendre davantage de risques.

A l’issue de notre discussion, je le remercie vivement mais je ne sais plus quoi dire au fond. Mes pensées sont oscillantes, entre le stress et la nervosité qui poussent à l’action. Je prends quelques minutes pour réfléchir à cette dernière discussion, le regard bloqué sur la lumière vive de la lampe de style contemporain posée sur le buffet et mon cerveau sur un horizon intellectuel sans limites.

Revenant à la réalité, je prends connaissance de la mise à jour du bilan publié par l’OMS. Ce dernier s’est encore alourdi dans le monde. Cela devient alarmant…

Demain, à la première heure, j’irai faire des courses !

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