« J+17 après l’annonce du confinement » Jean-Emmanuel Medina 12 avril 2020 – Publié dans Littérosa – Mots clés: Aslace, chronqiuecovid19, Covid-19, stopcoronavirus, Strasbourg

Jean-Emmanuel Medina, après avoir obtenu un doctorat en droit international en 2010, il décide de devenir avocat. Il prête serment en Alsace puis s’installe au Barreau de Strasbourg. En 2017, il co-fonde les Éditions Kapaz.
J+17 après l’annonce du confinement (03 avril 2020)
Comme chaque jour depuis le 28 mars, je prends des nouvelles d’une cliente convalescente. Elle va de mieux en mieux, comme me le dit son fils par SMS en milieu de matinée, en répondant à celui que je lui ai adressé un peu avant.
En début d’après-midi, je me rends au cabinet afin de tirer des documents, relever le courrier et passer quelques appels téléphoniques importants. Un confrère du barreau de Lyon m’appelle, nous échangeons pendant quelques minutes sur un dossier qui nous oppose, puis à propos du virus. Il me confie qu il est davantage stressé par la pression de son patron que par la situation sanitaire actuelle. On l’oblige à travailler deux fois plus, le chiffre d’affaires, toujours le chiffre !
Je rentre vers 18 heures et je prépare tranquillement ma soirée.
Il est 19h50 quand j’entends des bruits de pas dans l’allée. Ces derniers jours, je fais plus attention car je cherche à donner à l’infirmière libérale, qui exerce juste au-dessous de chez moi, une partie des masques que j’ai en ma possession. Même si j’en utilise de manière sporadique lorsque je sors, à ce rythme, la crise sera passée et mon stock presque toujours entier ! Qu’aurai-je alors gagné à les conserver ? Assurément rien ! Alors que pendant ce temps, de nombreux professionnels de santé ne disposent pas suffisamment de protections nécessaires à leur sécurité. Finalement, c’est comme si les militaires étaient envoyés au front sans casque ni autres protections corporelles ! Les soldats seraient alors fortement exposés, leurs familles puis les citoyens seraient à leur tour révoltés par cette inadmissible incurie. Les autorités publiques n’auraient nul autre choix que d’infléchir leur politique le plus rapidement possible.
Dans tous les cas, il s’agirait d’un scandale d’État.
Alors que le confinement nous protège à domicile, nous pouvons, proportionnellement à nos possibilités, aider à protéger la vie des personnels de santé afin que celle des malades soit préservée avec dignité et sécurité.
Et si pour régler la « guerre des masques », chaque personne partageait ne serait-ce que le quart des stocks dont il dispose, qu’en adviendrait-il ? Après tout, certains ont mis à disposition leur appartement, les autres peuvent bien se démunir de quelques masques ! Je me plais à imaginer un mouvement d’ampleur s’opérer, et des files de personnes converger vers les établissements de santé par centaine de milliers… pure fiction ! J’ai le droit de rêver, quand même ! Sans avoir la certitude que cela réglerait définitivement la problématique actuelle, la générosité pourrait contribuer à la réduire sensiblement.
Plus largement, cette question de la pénurie en matière de masques, de gels, de tests et de bien d’autres choses encore n’est que le sommet de l’iceberg de la décomposition de la santé publique en France, dont le covid-19 n’est que le révélateur. Pourtant, mes souvenirs sont parfaitement clairs, notre ancienne ministre de la santé s’était montrée optimiste vers la fin du mois de janvier tout en sachant que c’était faux. Nous avions été rassurés, n’est-ce pas ? Certains assurément, mais pas ceux qui gardaient en mémoire le scandale de Tchernobyl, ou encore celui du sang contaminé, ils savaient que les éléments de langage pouvaient occulter la triste vérité : l’incompétence manifeste des dirigeants ! Il y a bel et bien « quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark ! » (Hamlet de William Shakespeare).
A la mi-mars, ce scandale d’État éclatait au grand jour. Le nouveau Ministre nous expliquait que les stocks de masques avaient fondu, que nous n’en avions qu’une centaine de millions, là où notre stock stratégique était de plus d’un milliard, dix ans avant et jusqu’en 2012 !
Que s’est-il passé pour que l’on en arrive là !?
Ils ont sacrifié, sur l’hôtel du marché, des entreprises « stratégiques » et se sont conformés à la sélection drastique qu’opère cette main invisible, en se chargeant de l’élimination des entreprises dont les coûts sont les plus importants ! Mais pourquoi le sont-ils ? Personne ne se pose la question ? Depuis plus de 50 ans, tout a été orchestré pour que les produits fabriqués à l’étranger soient toujours moins onéreux que ceux fabriqués sur place. La conséquence est qu’aujourd’hui, nos gouvernants quémandent des masques ! Pire encore, ils sont allés jusqu’à en détourner plus de 4 millions en partance de la Suède, alors en transit à Lyon et à destination de l’Italie et de l’Espagne, fortement touchés par le Virus ! C’est indigne, mais tellement représentatif de notre époque…
Que fait l’Union européenne, « l’U quoi » ?! Rien, évidemment…
Que font les citoyens !? Ils applaudissent tous les soirs à 20h00. Magnifique ! C’est l’illusion de l’union nationale. Après la grande mascarade, ce sera l’heure de la remise en question. Les familles des morts seront en droit de demander des comptes.
J’entrouvre la porte de mon appartement, j’aperçois deux femmes marcher en contre bas, je crois reconnaître l’infirmière. Je prends une boite entamée de masques et me précipite pour la rejoindre mais la porte de son appartement vient tout juste de se refermer. M’a-t-elle entendu descendre ? A-t-elle eu peur de moi ? Je frappe à la porte, je n’ose pas appuyer sur la sonnette, le virus pourrait y demeurer mais je me résous à le faire. Personne ne me répond, pourtant, j’entends parler au travers de la porte. Je me manifeste à nouveau ! Je parle fort pour être entendu, l’une d’entre elles me répond… Aucune ne m’ouvre la porte, elles restent prudentes. Celle qui s’était exprimée me demande ce que je souhaite, je lui réponds que je suis un résident de l’immeuble et que j’ai quelques masques à lui remettre.
Elle m’ouvre enfin… les deux me regardent, circonspectes.
Je tends la boite entamée de masques. La plus âgée des deux, certainement celle qui me parlait au travers de la porte, exprime instantanément une joie que j’estime disproportionnée lorsqu’elle a eu la certitude qu’il n’y avait pas de piège et qu’il s’agissait bien de masques ! J’ai l’impression de lui avoir donné un trésor ! La plus jeune remarque qu’il s’agit de masques particulièrement prisés et rares. « Nous n’avons plus de FFP2 depuis des semaines » me dit-elle. Je suis remercié vivement pour mon geste que j’estime pourtant normal. « Merci, vraiment merci ! », me dit la plus âgée des deux avec joie, reconnaissance et beaucoup de dignité.
Avant de les laisser préparer leurs affaires pour leur prochaine tournée, je les remercie pour leur engagement et les encourage à être prudentes. Je remonte chez moi… il est 20 heures, j’entends les cloches sonner et quelques applaudissements épars.