L’amour d’une mère. Tchinguiz Gousseinov 5 avril 2021 – Publié dans Littérosa – Mots clés: , ,

–  Fétélï… Réveille-toi…

Fétélï ne pouvait ouvrir ses yeux, il était très fatigué. Sa soeur le secoua en le prenant par les épaules.

– Lève-toi ! La fille allait se mettre à pleurer. 

Mais Fétélï, qui était assis dans son lit depuis un moment, fermait ses yeux. Puis il se coucha à nouveau en se tournant sur le côté du matelas. Sa sœur releva encore une fois Fétélï de sa place en le tenant par les épaules de toutes ses forces.

– Lève-toi, je te dis ! Ta mère est sur le point de s’en aller. Tu ne la reverras plus jamais.

– Ma mère s’en va ? Où ça ? Il sauta subitement de sa place.

Il sortit en courant dans la cour, un chameau était assis au seuil de la porte-cochère. Là se tenait sa mère. Les yeux de Dame Nané étaient rouges, et son teint jaunâtre. Un sac de selle était posé entre les deux bosses du chameau.

Il se jeta dans les bras de sa mère, et la tenant par ses vêtements ne lui permit pas de monter sur le chameau. 

– Et moi ? Où vas-tu sans moi ?

– On t’a réveillé. Mais je leur avais demandé de ne pas le faire. Dame Nané avait décidé de s’en aller secrètement, mais elle se réjouit du réveil de son fils : elle pouvait le voir une dernière fois, et lui faire ses adieux. Qui savait quand ils allaient se revoir, et s’ils se reverraient ?

Fétélï avait neuf ans, il pouvait déjà tout comprendre, mais il ne pouvait pas comprendre la chose la plus importante : sa mère s’en allait, mais il restait…

– Je m’en vais aussi, dit-il à sa mère. Je ne resterai pas ici. 

Fétélï cria et se cogna contre le sol, tapant ses poings dans la poussière et la terre :

– Non ! Non ! cria-t-il. Ses yeux jetaient feu et flammes.

Muhammed Taghï regardait avec réserve tantôt son fils, tantôt Dame Nané, mais il ne sut pas quoi dire. Les sœurs de Fétélï le regardaient, se serrant l’une contre l’autre, elles ne l’avaient encore jamais vu comme cela jusqu’à présent, l’état de leur frère les effrayait. La sœur aînée de Fétélï regrettait de l’avoir réveillé, et se le reprochait -pourquoi l’avait-elle réveillé ? La nuit dernière, elle avait entendu dire que Dame Nané voulait quitter Fétélï sans l’en informer, quoique ce n’était pas de gaieté de cœur. Elle ignorait comment elle avait osé réveiller son frère. Si elle ne l’avait pas réveillé, qu’aurait fait Fétélï après le départ de la caravane ? Ne se serait-il pas enfui de la maison ?

Dame Nané était fatiguée de tenter de convaincre son fils de se calmer. 

– Je ne pars pas pour toujours. Je t’emmènerai aussi avec moi, dit-elle en essayant de le duper. Mais au fond de son cœur, elle voulait dire : « Ne me crois pas ! Nous nous faisons nos adieux, essaie de venir avec moi ». Seul Fétélï entendait ces paroles non prononcées, attrapa le bras de sa mère et ne voulait pas lui permettre de s’en aller. Les épaules de Dame Nané tremblèrent, elle ne savait pas comment elle pouvait arrêter ses larmes.

Le caravanier ne pouvait pas supporter cet instant désolant, et s’adressa tout à coup à Muhammed Taghï :

– Monsieur, permettez-lui de partir avec sa mère. Comme vous le savez, une mère fond comme une bougie sans son enfant, et un enfant devient orphelin sans sa mère. C’est une erreur de séparer une mère de son enfant.

Fétélï ne permettait à personne de s’approcher de lui. Il était prêt à griffer et déchirer n’importe qui, regardait tout le monde dédaigneusement, et tenait sa mère si fort qu’il était impossible de les séparer. 

Muhammed Taghï avança vers son fils. Fétélï sauta soudainement en arrière et s’éloigna, comme s’il disait à tous, révolté : « Je courrai après la caravane, les pieds nus et affamé ».

Muhammed Taghï, de caractère sensible, eut pitié de Fétélï et voulut l’envoyer avec sa mère. Il pensait : « Mais quand est-ce que je reverrais mon fils à nouveau ? ». Il ne voulait pas non plus les séparer… 

Que ferait son fils ici ? A quoi serait-il occupé ? Comme lui, à faire du négoce ? Il n’aurait ni jour, ni nuit de repos. Mais qu’est-ce que Muhammed Taghï voudrait que son fils devienne ? Il restait pensif, de doux et chers souhaits venaient de son cœur : assurément, il voudrait que son fils soit un homme hautement lettré et cultivé, mais impossible ici et dans sa situation actuelle, quel dommage ! Les villes de Khamné et Chéki étaient absolument incomparables !

– Que feras-tu ici, mon fils ? Il ne pouvait pas trouver de réponse à sa question.

À Chéki, Muhammed Taghï avait été témoin d’une scène qui s’animait devant ses yeux chaque fois qu’il pensait à l’avenir de son fils. Un jeune homme commandait un groupe de soldats qui avait réparé un pont détruit. Peut-être que Fétélï deviendra un constructeur de ponts plus tard ?

Son fils construira un pont… Mais que feras-tu ici mon fils ? La vie de son fils se putréfiera comme la sienne, il n’aura jamais de savoir, ni d’instruction.

Les grelots suspendus au cou du chameau tintèrent. Fétélï voyait l’horizon être secoué et balancé, et se retournant, il apercevait leur maison se rapetisser petit à petit. Il reconnaissait son père par son grand chapeau, ses sœurs se tenant debout près de lui et portant un fichu, mais celle qui l’avait réveillé s’obscurcissant bientôt en couvrant petit à petit son corps d’un voile.

Le divorce de Nané khanoum, et son retour vers sa patrie étaient en lien avec Akhound Élésgère : son oncle le savait et s’attendait à sa venue. Mais Akhound Élésgère ne vivait pas encore à Chéki. Il était au service des khans qui avaient perdu leurs khanats, et demeurait tantôt dans la région Méchkin en Ardabil, tantôt dans les villages de Garadagh.

– Mon Dieu, mon Dieu… Quelle est cette prononciation ? Quel est ce patois ? Que vais-je dire à ton professeur de Khamné ? pensa Akhound Élésgère.

Akhound Élésgère s’occupait du petit-fils de son frère assis sur un tapis, un genre de tapis sans poils, dans une prairie. Le papillon ressemblait aux motifs du tapis, comme il y avait quelques fleurs représentées sur ses bordures. Le papillon de nuit se posa sur le tapis, ouvrit en grand ses ailes colorées, puis les referma. Quand il vit Fétélï, le papillon rouvrit ses ailes pour montrer sa beauté au garçon. Il le regardait, fasciné par le papillon de nuit, et c’est pourquoi il écoutait son nouveau professeur, l’oncle de sa mère Akhound Élésgère, avec des pensées diffuses.

Nané khanoum était allongée dans la tente. Voyant son oncle et son fils, elle se sentait heureuse. Elle était de nouveau malade, la fièvre n’avait pas quitté son corps. Elle s’était sentie en bonne santé durant les premières semaines suivant son départ de Khamné, mais sa maladie s’était récemment aggravée. A cet instant, elle allait bien. Elle écoutait attentivement son oncle en retirant un peu sa couverture. Il était un père pour elle et pour Fétélï, elle pouvait maintenant partir soulagée. Elle était encore très jeune, qu’avait-t-elle vu dans sa vie ? Quand elle était enfant, son père mourut et elle n’avait pas reçu plus de tendresse maternelle. Puis vint son mariage, les conflits familiaux, les piques envoyées par la première femme de son mari, les scandales, le divorce… 

Le frère aîné d’Akhound Élésgère, Muhammed Huseyn, était venu d’Unkute dans la région de Chéki et emmena tout le monde, y compris Fétélï et sa mère, à Gandja, véritable patrie de leurs ancêtres. L’état de Nané khanoum avait empiré avant qu’ils ne partent. Elle sentait que ce serait son dernier voyage… 

Le lendemain matin, quand ils allèrent vers une place de jardins et parterres près du tombeau de Nizami, son état s’était aggravé, elle brûlait de fièvre. Mais à la veille de sa mort, ses pensées brumeuses s’étaient éclaircies et elle dit à son fils de ne pas la quitter de la nuit : « Fétélï, Akhound Élésgère est un père pour moi et pour toi, mais sache aussi qu’Alié khanoum est comme une mère pour toi. »

Après avoir fait le deuil de Nané khanoum pendant quarante jours, Akhound Élésgère adopta le petit-fils de son frère comme un fils, mais il ne lui donna pas son nom puisque son père était encore en vie. C’est pourquoi il lui donna son titre religieux. Fétélï appelait Akhound Élésgère son « second père », et devint « Le fils d’Akhound » ou « Akhoundzadé ». Pour le dire dans les termes de l’époque, il s’appelait désormais Akhoundov. 


Traduit  par Qasimli Naridé


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