« Le récidiviste ». Dilbadi Gasimov 24 mai 2019 – Publié dans Littérosa

Dilbadi Gasimov, Co-fondateur les Éditions Kapaz. Avocat au Barreau de Strasbourg . Auteur du livre « Le petite oiseau » .

Je vis seul. Je n’ai rien dans la vie. Ni travail, ni famille, ni d’autres responsabilités. Je passe mes journées à tourner en ville. Je fais connaissance des gens, enfin surtout des personnes comme moi et nous essayons de mettre un peu de gaieté dans notre misérable existence. Surtout quand j’ai besoin d’argent, je le trouve, peu importe les moyens.

Il y a deux jours j’étais assis dans une terrasse. Je prenais un café et discutais avec une de mes connaissances. A la table voisine était assis un homme. Nous avons vite sympathisé et avons parlé de choses différentes. Il avait besoin d’aide. Il m’a demandé de le soutenir, en contrepartie je pouvais espérer une récompense. Je n’avais pas de moindre idée de quelle récompense il s’agissait, mais cela m’était égal. Tout ce que je pouvais obtenir me conviendrait. Une tournée de bière, un paquet de cigarette, un téléphone portable…..

Selon lui, sa sœur doit récupérer sa voiture restée chez son ex-mari. Malgré leur divorce, celui-ci ne veut pas lui restituer cette voiture. Nous devons nous rendre à son domicile, lui faire peur, le menacer, et récupérer ce véhicule.

Nous avons échangé nos numéros de téléphones. Le lendemain nous avons pris une bonne bière fraiche en ville avant de rendre visite à l’ex-mari de notre protégée sœur.

Notre cible habite un appartement dans un quartier pourri de Strasbourg. Nous avons pénétré dans son appartement et nous sommes posés sur les chaises. Il était en train de jouer avec son téléphone portable.

Nous sommes installés à sa table. Il nous a regardés avec des regards interrogatoires.

-Que voulez-vous ? nous a-t-il demandé.

-On est venu chercher la voiture. Ai-je répondu.

-Quelle voiture ?

-La voiture de Madame, enfin celle de la sœur de Monsieur.

Il m’a regardé bizarrement. Monsieur mon nouvel ami ne parlait pas. Avait-il peur ? Cela est possible. De tout de façon, cela m’était égal. J’ai sorti le couteau de mon sac et l’ai déposé sur la table. Cela n’a guère impressionné notre cible. Il m’a donné un coup de poing au visage et a réussi à me mettre dehors. Mon compagnon avait déjà fui.

Je me suis battu avec force mais il était plus fort que moi. J’ai pris des coups de poing sur le visage, sur les bras. Mon couteau étant resté sur la table là où je l’avais déposé, je n’ai pas eu d’autre choix que de me défendre avec mes poings.

Les voisins étant sortis pour admirer la scène, j’ai pris peur. La police doit se pointer d’une minute à l’autre. J’ai réussi à me sauver et rentrer chez moi.

Je me trouve maintenant dans ma petite chambre que je loue. Je suis inquiet, j’ai peur de la police, enfin j’ai plutôt peur d’aller en prison. C’est un endroit que je connais bien, puisque je viens de la quitter.

En effet, il y a quelques mois je me trouvais en prison, enfermé entre les murs, privé de ma liberté. Je ne pouvais rien faire, je ne pouvais aller nulle part. Rester dans ma cellule, regarder le plafond, discuter avec les autres détenus, aller en promenade, aller aux douches : rien d’intéressant, rien  de joyeux.

En prison je rêvais de l’extérieur, de ma liberté. J’imaginais tout ce que je ferais une fois libéré. Les lieux que je visiterai, les personnes que je rencontrerai, les beautés que je contemplerai. Cependant, après avoir trouvé ma liberté, je n’ai rien fait. Je n’ai réalisé aucun de ces rêves. J’ai juste repris mes vieilles habitudes. J’ai loué ce petit appartement, dans lequel je songe maintenant à la prison. Enfin, je ressens plutôt la peur d’y retourner.

Je tourne en rond dans ma chambre, j’imagine mon arrestation, la garde à vue, les interrogatoires, le passage devant le Tribunal, la lecture par le juge des mentions inscrites dans mon casier, les tentatives de mon avocat pour « me sauver », l’escorte qui me conduira vers la prison.

Je vois passer devant mes yeux le moment où je retraverse les couloirs étroits de la prison, le claquement des portes métalliques, les bruits qui viennent des cellules.

Tout cela me terrifie. Je suis traumatisé et je ne tiens plus débout. Je m’assois sur mon lit, je m’allonge, j’essaie de m’endormir, mais la peur est la plus forte. Mon estomac se resserre, j’ai envie de vomir, la peur envahit mon corps de plus en plus rapidement.

Je regarde par la fenêtre, point de voitures de police devant chez moi, la rue est calme, aucune agitation.

Je me demande si la personne agressée connaissait mon identité, si la police pourra m’identifier, ai-je oublié quelque chose sur place qui leur permettra de me trouver ? Je fouille mes poches, tout y est, mon porte-monnaie, mes clés, mon téléphone.

La nuit est tombée, je suis toujours débout, en train de réfléchir, tout ma vie passée en prison défile devant mes yeux. Je ne veux pas y retourner, non c’est impossible.

Un sentiment bizarre m’envahit, je commence à rêver de ce que je ferai si je ne suis pas emprisonné. Des projets, des lieux à voir, des livres à lire, des pièces de théâtre, des films, voire la femme avec qui je pourrais me marier et avoir des enfants : les moments que je passerai avec eux.

La peur de la prison se fait de plus en plus ressentir. Je me promets, encore et encore, d’être une personne respectable, de mettre en œuvre tous ces projets et de ne plus jamais faillir, si je ne suis pas envoyé en prison.

Le lendemain je suis fatigué, je n’ai pas dormi de la nuit. Toute la nuit j’ai pensé à la prison, cela m’a rappelé les moments où je rêvais de l’extérieur quand j’étais en prison. Toutes les dix minutes je vérifiais la rue par la fenêtre, pas de policiers en vue.

Il est presque neuf heure, personne ne m’appelle, personne ne me cherche, personne ne vient toquer à ma porte pour me passer les menottes. Mon angoisse est telle que la situation devient insupportable. Je décide de prendre les choses en main, je décide de me rendre à la police, avouer tout et m’excuser auprès de la victime s’il le faut. Ensuite j’irai purger la peine que le Tribunal voudra bien prononcer, et vu mon casier, je pourrais écoper trois mois, au pires six de prison ferme.

Ensuite je quitterai cet endroit maudit pour ne plus y retourner. Jamais, Jamais !

Je créerai une association, je viendrai en aide aux victimes des agressions, j’aiderai mon prochain, je serai utile pour la société et j’essayerai de me racheter à travers tous ces projets humanitaires. Je pourrai par la suite m’engager dans l’international, pour me rendre à l’étranger, venir en aide aux nécessiteux là où on a besoin de moi, là où l’humanité souffre.

Ainsi, ne pouvant plus supporter la pression de ma chambre qui rétrécit dans mes yeux pour devenir encore plus étroite, et ne pouvant plus gérer le stress qui envahit mon corps, je décide de quitter mon appartement et de me rendre à la police.

Comme j’ai décidé de changer et de payer ma dette à la société comme il se doit, je décide également de faire une bonne action en convaincant mon ami, enfin celui que j’ai rencontré sur une terrasse et celui qui m’a proposé d’aller récupérer la voiture de sa sœur, pour qu’il se rende également à la police.

Avec un peu de chance il s’en tirera avec une peine de trois mois avec sursis et éventuellement avec une obligation d’effectuer quelques heures de travaux d’intérêts généraux. Je le sais car au départ, lorsque je me trouvais devant un Tribunal avec un casier vierge, c’est la peine que j’écopais. Mais aussi et après tout, c’est moi, et moi seul, qui s’est battu avec la victime. Lui, il avait déserté les lieux dès que cela a commencé à chauffer. Tout cela était en sa faveur.

Cette bonne idée en tête, je me rends chez ce Monsieur. Il m’accueille avec un grand sourire et m’invite chez lui. Il est reconnaissant, sa sœur également. Il me montre la voiture de sa sœur garée pas loin de leur maison.

Il m’explique qu’après l’incident de hier, l’ex-mari de sa sœur est venu s’excuser et leur rendre la voiture. Personne n’ayant appelé la police et l’ex-mari n’ayant pas porté plainte, personne ne risque d’être inquiété.

Il m’offre un café et quelques billets……

Je suis assis sur la terrasse d’un café d’un des quartiers historiques de Strasbourg. Je savoure ma boisson et observe les passants. Les personnes pressées, stressées et soucieuses me font rire.

Moi, quand j’ai besoin de l’argent je le trouve, peu importe les moyens…..

Dilbadi Gasimov

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