« Mon Chostakovitch » Nijat Kazimov 12 mai 2019 – Publié dans Littérosa – Mots clés: littérature français, Littérature moderne, Nijat Kazimov, Nouvelle

Nijat Kazimov, Co-fondateur les Éditions Kapaz. Rédacteur en chef Littérosa, Directeur de la représentantion de la littérature azerbaïdjanaise en France. Auteur du livre « Les pierres en couleurs » .
Pour une raison quelconque, ce matin, j’ouvris mes yeux très tôt. Pendant un moment, je regardai le plafond et réfléchis. Est-ce vraiment sept heures du matin ? Le goût amer de ma bouche m’avait réveillé plus. Je pense qu’aujourd’hui je prendrai mon petit déjeuner pour la première fois au restaurant où je suis allé déjeuner.
Je m’habillai et je quittai la maison. Il y avait un silence étrange dans l’air, la douceur et la fraîcheur. Depuis longtemps, je ne me réveillais plus le matin, cela semblait si différent aujourd’hui ! J’ai marché jusqu’à l’arrêt de tram, les mouettes volaient au-dessus de la rivière de ma droite et leur voix m’était étrange également.
L’odeur du parfum agréable qui irritait mon nez était si efficace sur mon cerveau que celui-ci me priait de regarder la fille qui marchait sur le même chemin que moi. Mon cerveau réussit à le faire. Ses chaussures à talon haut faisaient un bruit de fer à cheval sur l’asphalte et c’était comme si on frappait sur ma tête avec quelque chose de lourd. C’est peut-être à cause du vin que j’ai trop bu la nuit. Le vent impitoyablement lécha l’odeur de la fille et me toucha. Ce vent coulait des cheveux de la fille. Quel vent immoral ! Est-ce qu’un humain peut être jaloux de tout ce qui est invisible, intouchable ? Je l’étais…
Je voulais voir le visage de la fille qui avait un tel parfum et un tel corps. Mais si je m’approchais d’elle, elle m’aurait mal compris. C’est pourquoi j’ai dû la regarder par derrière et sentir son parfum.
Parfois, j’agrandissais aussi mes pas et voulais me rapprocher d’elle. En même temps, la fille ne pouvait plus résister et regarda à l’inconnu derrière elle. Oh, j’aimerais que la fille me regarde encore une fois. Ses yeux brillants, son nez doux, ses sourcils si délicatement traités, ses lèvres rouges mais sans couleur me rendaient très excité.
Pour une raison quelconque, j’ai entendu la « Seconde Valse » de Chostakovitch. Je ne me souviens pas d’où venait la musique. Je sais qu’hier j’ai beaucoup écouté cette pièce. Hier, quand j’étais ivre, je me suis dit que si une personne tombait amoureuse, on aurait entendu cette pièce à ce moment-là. Je riais de moi-même sans le savoir. Mais malheureusement je ris à haute voix. La fille se retourna et me regarda. Parfois, elle ralentissait ses pas pour que l’inconnu derrière elle la dépasse.
« Non, ma chérie, tu ne réussiras pas ! » me suis-je dit. La pièce de Chostakovitch jouait dans mon cerveau, peut-être que ces notes se mélangeaient dans mon artère et que cela m’incitait à me rapprocher d’elle.
Je ne savais pas comment j’étais arrivé à la station de tram. Mais ce qui m’a rendu heureux, c’était le fait que la fille était montée dans le même tramway. Il y avait plus de cent places assises, mais je m’assis devant elle. C’était une opportunité. Je mis mes lunettes. En fait, le soleil ne me dérangeait pas, le but était de regarder la fille. Je l’ai regardée.
La fille le sentit, elle me regarda et me sourit. Donc, je suis en avance de 1-0. J’étais gêné par la personne immorale qui se trouve à l’intérieur de moi et je commençais à lire « La chanson de Johnny Sosa » de Mario Delgado en la sortant de mon sac à dos. Mes yeux regardaient la fille sous les lunettes. Mais la fille regardait la route.
C’était la voix d’une femme robot qui m’avait réveillé de ce rêve :
« Prochaine station : Gallia ».
Je ne pouvais pas continuer à regarder la fille. Je n’avais rien mangé depuis hier, la faim de mon estomac a refroidi mon amour et mon désir. C’est pourquoi je sortis du tram en regrettant. Je laissai mes sentiments d’amour dans le tram et je pris mes sentiments de regret avec moi.
La ville venait de se réveiller et il y avait ses gens qui rêvaient partout. Sur la route, je pensais à ce que je pouvais manger au restaurant où l’intérieur était affamé d’accessoires rouges. Apparemment, mon appétit était resté avec elle. Je suis entré et je me suis installé derrière une table. Un papier entre les mains le serviteur s’est approché de moi et m’a demandé ce que je voulais. Je voulais un petit déjeuner mais j’ai vu la fille au bel parfum entrer dans le restaurant et traîner à la recherche de quelqu’un. Après m’avoir vu, elle s’est assise à l’une des tables près de moi. Je l’ai regardée et je suis revenu dans mon esprit. Le serviteur m’a demandé de nouveau et ce méchant m’a séparé de cette beauté. J’ai voulu du vin de Bordeaux. Le serviteur me regarda avec étonnement et demanda :
« Pardon ? Du vin ? Si tôt ? » J’ai vu sa réaction, mais que pouvait-il faire face à mes commandes ?
Mon petit déjeuner ce matin aurait pu être suffisant en regardant cette fille et je voulais juste boire du vin pour avoir le courage de m’approcher. Pourquoi a-t-elle choisi ce restaurant ? Sinon, cette fois c’était elle qui m’avait suivi ?
Un verre de vin a été apporté sur ma table et sur sa table, il y avait une omelette, du jus d’orange, du pain, etc. Maintenant, elle s’asseyait et me regardait, et je m’asseyais et la regardais. Nos regards se croisaient souvent. Elle ne s’en plaignait pas. Au contraire, le sourire pur était présent sur son visage, ses lèvres se rétrécissaient et ses yeux me secouaient un peu. Elle ne s’en plaignait pas.
J’ai senti tout de suite l’effet du vin en quelques secondes, car mon estomac était vide. J’étais peut-être ivre parce que je regardais la fille constamment.
La fille me regarda et mit sa main dans son sac pour régler la somme. Je ne pensais pas qu’elle allait partir si vite. Pourquoi voulait-elle casser ma belle vue ? Je mis ma main dans ma poche et je posai l’argent sur la table ! Je pense que j’en ai mis beaucoup. Pas de soucis, mais si cela continue ainsi, je vais mourir de faim à la fin du mois.
Quand je me levai, j’eu le vertige, mais cela m’a fait rire, puis je quittai le restaurant après la fille. Encore une fois, notre histoire s’est répétée. La fille prit le rythme de la pièce de Chostakovitch qui se jouait dans mon cerveau avec les bruits de ses chaussures à talon et son parfum était toujours fascinant. Cette fois, je ne pouvais pas m’arrêter et je faisais de grands pas. J’entendis le signal de la police à distance puis les cris.
Quand je m’étais approché d’elle et avais dit « Bonjour mademoiselle », beaucoup de voitures de police arrivèrent de l’entrée de la rue et des centaines des personnes apparurent avec des drapeaux rouges dans les mains. Elles portaient des gilets jaunes. Elles étaient contre quelques choses. Cette fille se mêla à ces manifestants.
J’ai rejoint les manifestants pour ne pas la perdre. En cherchant la fille, je pouvais voir des personnes âgées, des personnes d’âge moyen et des jeunes qui hurlaient. À ce moment-là, Chostakovitch avait arrêté son concert dans ma tête et c’était une protestation contre les voix des manifestants.
Mes yeux cherchaient la fille partout. Mais c’était inutile. À ce moment-là, j’ai mis mon nez en action. Je ne pourrai jamais oublier son parfum. C’est ce que j’ai pensé. J’ai remercié mon nez et je suis allé près de la fille et j’ai commencé à marcher. La fille m’a regardé, a souri. Nous n’avons pas parlé, nous avons simplement protesté contre quelque chose qui ne m’intéressait pas. L’absence de Chostakovitch se ressentait. Les hautparleurs dans les mains des manifestants ont brisé son cœur.
J’ai vu des gens devant nous, ils sont dans les bras des uns des autres, bien qu’ils n’aient pas eu d’intervention de la police. J’ai aussi pris les mains de la fille. Mais comme un amoureux de quelques années. Elle ne s’inquiétait pas, au contraire elle a pressée ma main. Ses mains étaient tellement belles !
C’était la main de la dame que des messieurs du Moyen-Âge auraient voulu embrasser plusieurs fois. Maintenant, embrasser la main n’était plus à la mode, on embrasser seulement sur la joue.
Je n’ai pas parlé avec la fille, mais elle hurlait avec sa voix chuchotant et je regardai sa beauté, ses cheveux éparpillés sur son visage. Bien qu’il y avait du soleil, la pluie était dispersée sur nos têtes. Cela a beaucoup mécontenté les manifestants. Le nombre des manifestants déclinaient lentement. Cette pluie s’était soudainement transformée en un canon. J’ai amené la fille inconnue à l’arrêt de bus le plus proche. Nous nous sommes regardés et avons souri l’un à l’autre. Pour une raison quelconque, je n’avais pas besoin de parler pour la première fois de ma vie. J’ai saisi son visage et embrassé ses joues. Elle a embrassé mes lèvres en réponse. Cependant, ce baiser n’était pas court. Nous avons continué à nous embrasser jusqu’à l’arrivée du bus.
Chostakovitch est également venu. Encore une fois, la « Seconde Valse » a été entendue. Je lui serai toujours reconnaissant d’avoir ajouté un air plus romantique à notre moment. Je me demande, quand je l’embrassais, elle entendait quel compositeur ? Je ne saurais jamais.
Le bus approchait. La fille tira ma main vers le bus. Nous sommes entrés et sommes allés au fond et nous avons continué à nous embrasser. Je ne savais pas où allait ce bus.
Peu après, nous sommes descendus du bus, elle m’a pris par la main, m’a serrée fort et elle m’a emmené avec elle.
Nous sommes allés dans un vieil immeuble d’Alsace à trois étages et nous sommes montés dans son appartement dans le grenier.
Nous nous sommes d’abord regardés, puis nous nous sommes déshabillés, nous nous sommes embrassés puis je lui ai embrassé le dos en dansant avec la pièce « Seconde Valse » de Chostakovitch. Et puis nous avions fait l’amour.
Le bonheur sans parler pendant un jour me suffisait probablement jusqu’à la fin de ma vie.
Je ne connaissais pas son nom, elle ne connaissait non plus pas mon nom.
Ensuite, je ne l’ai jamais revue. Qui était-elle, que faisait-elle, je ne savais pas. Pour une raison quelconque, nous nous sommes tous les deux compris sans parler.
Peut-être que le bonheur est silencieux. Mais sans Chostakovitch, j’aurais été privé de ce goût.
***
Deux jours plus tard, quand je rentrais chez moi en bus après le travail, j’ai vu une fille aux cheveux blonds et aux yeux bleus assise devant moi. Elle m’a regardée aussi. J’ai commencé à entendre la pièce « Serenade » de Schubert… Encore ?
Nijat Kazimov