Umm El Banu Assadoullayev – Banine: Gazelle aux yeux noirs. 11 mai 2019 – Publié dans Littérosa

Vazeh ASGAROV, docteur ès histoire contemporaine, originaire de Bakou (République d’Azerbaïdjan) a bénéficié d’une formation en langue et philologie françaises à l’Université des Langues d’Azerbaïdjan. Depuis 2003, il a suivi le parcours « science du langage » de l’Université de Marc Bloch (Strasbourg), études qu’il a menées jusqu’au Master, obtenu en 2007. Entre 2007-2012, il a préparé un doctorat en sciences sociales à l’Université de Strasbourg avec un projet portant sur l’histoire de l’émigration azerbaïdjanaise en France. Il est l’auteur d’une vingtaine d’articles scientifiques et deux livres publiés chez Presses Académiques Francophones. En 2005, il est élu le président de l’Association des Etudiants Azerbaïdjanais en France (ASEAF). Depuis la même année il est co-fondateur de la Maison de l’Azerbaïdjan à Strasbourg. Depuis 2013, il est maître de conférences et a occupé le poste de vice-président de l’Université des Langues. En 2016 décembre il est nommé le directeur de l’Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ).


Photo d’archives R. Aboutalibov

Pendant  la  période  de  l’établissement  du  pouvoir  soviétique,  la  plupart  des intellectuels, les représentants des classes riches ne réussissent pas à s’adapter à la dictature des bolcheviks et furent obligés d’émigrer. Aujourd’hui, on redécouvre les noms des émigrés ainsi que les documents d’archives qui permettent aux générations d’aujourd’hui et demain pour mieux comprendre le passé et surtout la situation de l’Azerbaïdjan et du Caucase au début du siècle dernier. Jusqu’à l’année 1987, le nom de Banine reste aussi inconnu des lecteurs azerbaïdjanais, avant qu’apparaissent les premiers articles sur elle dans des journaux comme Gobustan, Gandjlik, Azerbaycan. Umm El Banu Assadoullayev, pseudonyme Banine, est née en 1905 à Bakou, dans une famille de riches industriels de pétrole. Ses deux grands-pères Agha Musa Naguiyev et Shamsi Assadullayev sont connus comme les industriels pétroliers les plus riches de l’époque. Son père Mirza Assadoullayev (1875-1938) est ministre du Commerce et de l’Industrie de la RDA. Avant sa naissance, la mère de Banine est liée à la période de la révolution de 1905 et envoyée dans un village éloigné de la région de Bakou. Pendant l’accouchement, seule la petite Banine qui est survit. Elle et ses trois sœurs sont élevées par une gouvernante allemande et des éducateurs européens. À treize ans seulement, avec ses trois sœurs selon le testament de son grand-père, elle devient millionnaire. Commençant très tôt l’enseignement, la jeune fille reçoit une très bonne éducation, étudie plusieurs langues étrangères et montre un très grand intérêt pour la littérature. En 1924, après l’installation de ses proches en France, Banine saisit aussi une chance d’émigrer en Turquie. Mariée de force à l’âge de quinze ans, elle divorce de son époux qu’elle méprisait, l’abandonne à Constantinople et part pour Paris. Comme tous les émigrés, elle aussi pensait que la séparation avec le pays serait longue, mais en tout cas temporaire. Les cercles littéraires des années 1920 et 1930 de Paris influencent fortement ses propres recherches. Avant de commencer à rédiger ses mémoires en français selon les conseils de ses amis, Banine gagne sa vie en travaillant en tant que modèle, traductrice, vendeuse, secrétaire et autres métiers. En 1943, Jean Paulhan publie son premier roman Nami, qui sera bientôt suivi par deux récits autobiographiques, Jours Caucasiens en 1945 et Jours parisiens en 1947 (réédité en 2003). Aussitôt, ses derniers romans lui font connaître un succès énorme. Des personnes connues, comme André Malraux, Ivan Bounine, Nikos Kazantzakis, Henry de Montherlant et Ernst Jünger écrivent des lettres sympathiques à la jeune romancière du Caucase. Sa meilleure amie Nadezhda Teffila fait entrer dans l’Union des écrivains en exil de Russie. Dès la première rencontre de Banine avec Ivan Bounine, Lauréat du Prix Nobel de littérature, ce dernier admire la beauté orientale de Banine et l’appelle toujours, soit la Princesse de Shamakhi, ou la Gazelle aux yeux noirs.  Plus tard, Banine écrit encore quelques romans (9 livres) et récits. En outre, elle fait aussi la traduction en anglais, russe, allemand de nombreux articles et essais, ainsi que les œuvres de Fiodor Dostoïevski, d’Ernst Jünger, etc. L’amitié avec E. Jünger dure presque cinquante ans et ainsi paraissent les ouvrages Rencontres avec Ernst Jünger (1951), Jünger,ce méridional (1965), Portrait d’Ernst Jünger : lettres, textes, rencontres (1971), Ernst Jünger aux faces multiples (1989) (Voir l’une des ces lettres dans l’annexe p. 330-331). Haïssant les Bolcheviques et leur pensée disant « la religion est l’opium du peuple », elle publie en 1959 le roman J’ai choisi l’opium. À cinquante ans, elle se convertit au catholicisme, le proclamant avec ironie contre les Communistes. Son dernier roman Ce que Maria m’a raconté est publié en 1991, un an avant son décès. Ses archives (livres, lettres, documents) sont confiées à l’écrivain allemand Rolf Stürmer, seul exécuteur testamentaire (Gouliyev, 2004). 

Photo d’archives R. Aboutalibov

 Notons que Banine, tout au long des années, ignore les contacts avec ses compatriotes en émigration. Elle se soucie du fait que le pouvoir azerbaïdjanais se réconcilie facilement et sans lutte avec les Bolcheviques. En 1981, Ramiz Aboutalibov envoyant une invitation à une exposition de tapis Azerbaïdjanais ne comptait pas sur la présence de cette fameuse dame. Mais au contraire, elle accepte son invitation et cette rencontre sera le début de leurs amitiés. Il accumule beaucoup de souvenirs de Banine. Dans l’une de ses rencontres avec elle, il lui fait faire connaissance avec un peintre Azerbaïdjanais. Avant son départ, l’artiste offre à Banine deux boîtes de caviar. Ayant une « langue acérée» Banine prend le cadeau et répondit avec ironie: est-ce tout ? En partant, nous avons laissé beaucoup plus que cela. Hasan Gouliyev divise le travail de Banine en deux parties : les œuvres contenant des sujets et des éléments sur l’Azerbaïdjan, plutôt mémoratives et rétrospectives et les œuvres exposant des thèmes français et européens. Et pourquoi ? L’auteur explique cette double tendance autobiographique dans ces ouvrages, car elle appartenait à deux mondes : avec ses origines azerbaïdjanaises à l’Orient et avec sa mode de vie et son éducation à l’Occident (Gouliyev, 2004 : 61-62).

Umm El Banine Assadoulayev s’éteignit le 23 octobre 1992 à l’âge de 87 ans à Paris. Son père, Mirza Assadoullayev (1875-1938), a meurt à Paris et a été enterré dans le cimetière de Bobigny. La tombe de son jeune frère Nadir (1919-1939) et celle de sa sœur aînée Govsar se trouvent juste à côté. Les autres grandes sœurs de Banine, Suraya (la tombe n’a pas été retrouvée) et Kübra sont aussi enterrées à Paris dans le cimetière des Batignolles. Le beau- frère de Banine, Shamsi (fils de second mariage Mirza) mort aussi à Paris (R.Aboutalibov 2008).

Vazeh Asgarov


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